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Guinéennes et guinéens,
Mesdames et messieurs,
Ces dernières semaines en Guinée, on entend parler de tout sauf de l’essentiel. L’essentiel aujourd’hui, c’est la politique de relance économique post-Ébola et le plan de redressement économique du pays. Lors de la présentation de sa politique générale à l’Assemblée nationale, le Premier Ministre a énoncé un programme quinquennal ambitieux qui comprend de vastes investissements sur une période de 5 années. Ces grands investissements seraient orientés vers trois principales priorités susceptibles de libérer le potentiel économique de la Guinée, à savoir: la réalisation du barrage hydroélectrique de Souapiti, l’accélération de l’amélioration des infrastructures routières, et l’emphase sur l’agriculture (irrigation, fertiliseur, équipements et unités de production agricole). À ces trois grandes priorités, le gouvernement a prévu 7 projets miniers dans la bauxite, le fer et l’or. De même, de grands projets résidentiels et d’infrastructures administratives sont envisagés à travers des partenariats public-privés. Finalement, le gouvernement a mis en avant un projet multisectoriel de création de 750 milles emplois pour les jeunes. Avec ce vaste plan d’investissement, le gouvernement projette une croissance économique moyenne de 8.6% au cours des 5 prochaines années.
Ce vaste plan d’investissement a le mérite d’être précis. Des études préalables ont été réalisées pour chacun des projets compris dans ce plan d’investissement. De plus, après la dilapidation des réserves de devises de la Banque centrale durant la campagne électorale présidentielle de 2015, en l’espace de 9 mois, le gouvernement a réussi à recouvrir les réserves de devise à hauteur de 2.4 mois d’importations, la Banque centrale a légèrement amélioré ses pratiques en mettant des balises en ce qui concerne les garantis commerciales, les crédits bancaires au secteur privé s’accroît à un taux annuel de 24%, le barrage hydroélectrique de Kaléta commence à produire des effets d’entraînement dans l’économie réelle, et le FMI prévoit un rebond de la croissance économique de la Guinée à hauteur de 3.7% au cours de l’année 2016. Donc, sans aucun doute, sur le plan économique, en dépit de tout ce qu’on peut dire, un petit chemin a été parcouru par le gouvernement actuel au prix de décisions souvent impopulaires, notamment le refus de baisser les prix du carburant à la pompe et le gel momentané des salaires des fonctionnaires. Le gouvernement a donc réussi à construire un petit soubassement. Toute la question consiste à présent à savoir si ce qui a été construit est suffisamment solide pour soutenir le vaste plan d’investissement envisagé par le gouvernement. Voilà le véritable débat qui mérite d’être entretenu par l’ensemble des acteurs politiques en Guinée. Et voilà l’objet de cette adresse d’aujourd’hui.
La première question à se poser est : Est-ce que le cadre institutionnel et la capacité d’absorption de la Guinée sont suffisamment établis pour accueillir un tel plan d’investissement? Il est légitime de se poser cette question dans la mesure où, même les experts du FMI le font remarquer, depuis 2002 la Guinée n’a pas avancé d’un pas quant à sa capacité à soutenir une forte croissance, à réduire durablement la pauvreté, et à utiliser efficacement l’aide publique au développement. De même, sur l’indicateur « Doing Business » de la Banque mondiale et l’indice de compétitivité du « Forum Économique Mondial », la Guinée occupe encore la queue du peloton. Sans parler de la corruption endémique qui caractérise l’administration publique guinéenne. Ainsi, pour répondre à la première question, on peut affirmer sans risque de se tromper que les carences du cadre institutionnel et la faible capacité d’absorption de l’économie guinéenne ne jouent pas en faveur d’un succès du vaste plan d’investissement envisagé par le gouvernement.
Sur ce premier point, il est donc préférable, dans le court terme, de mobiliser les efforts dans le sens du rattrapage sur les réformes structurelles, notamment l’amélioration de l’efficacité des politiques sectorielles, des politiques fiscales, des politiques budgétaires, de la politique de gestion de la dette publique, l’efficience dans la mobilisation des recettes publiques, ainsi que la lutte contre la corruption dans l’attribution des marchés publics. Sur la majorité de ces domaines, le gouvernement prend déjà des actions qui sont à encourager. Cependant, ce sont des actions isolées et souvent très timides. Afin que ces actions produisent des résultats, il est nécessaire de les systématiser à l’échelle de l’ensemble de l’État. En procédant ainsi, non seulement nous réussirons à avoir un cadre institutionnel beaucoup plus favorable aux grands investissements, mais de plus, cela renforcera considérablement la compétitivité de l’économie guinéenne.
La deuxième question à se poser est : Est-ce que le gouvernement dispose des ressources budgétaires nécessaires pour financer ce vaste plan d’investissement? Le vaste plan d’investissement envisagé par le gouvernement est compris entre 5 et 6 milliards de dollars. Par ailleurs, il est utile de rappeler que le budget public est déficitaire en Guinée. C’est-à-dire que les dépenses publiques sont supérieures aux recettes. Ce déficit public s’élevait à 6.9% du PIB en 2015. Donc, malgré ce déficit budgétaire, le gouvernement envisage un plan d’investissement de près de $6 milliards. Cela signifie que le gouvernement compte financer ce plan d’investissement entièrement par une augmentation équivalente de la dette publique guinéenne. Le gouvernement veut donc faire le pari qu’en finançant ce vaste plan d’investissement par endettement, il y a des chances que la croissance économique générée par ces grands investissements soit suffisante pour relativiser le poids de la dette publique dans le budget de l’État au cours des prochaines années.
Au sein de la LDRG, nous croyons que ceci est un pari démesuré. Les experts du FMI ont estimé que la réalisation globale du vaste plan d’investissement du gouvernement par endettement entraînera une augmentation de la TVA de 25% et fera passer la dette publique de 49% du PIB aujourd’hui à 67% du PIB au cours des prochaines années. Ceci est donc objectivement un scénario insoutenable pour la Guinée. Il serait une véritable erreur d’engager ces vastes investissements si c’est pour arriver à une situation où, non seulement la majorité des projets n’iront pas au bout du fait d’une faible capacité d’absorption et d’une carence du cadre institutionnelle, mais de plus, le remboursement de la dette publique qui s’en suivra privera la Guinée de marges de manœuvre budgétaires pour faire face aux besoins sociaux les plus urgents des populations. Un endettement d’une telle ampleur conduira à coup sûr la Guinée vers la faillite au cours des prochaines années avec son corollaire de conséquences sociales explosives pour les prochaines générations.
Sur ce deuxième plan, on peut donc affirmer sans risque de se tromper que la Guinée ne possède pas les capacités budgétaires de ce vaste plan d’investissement. En matière de capacité budgétaire, il serait préférable, dans le court terme, d’engager des actions sérieuses pour décupler la capacité de recouvrement des taxes commerciales. Selon le plus récent rapport du FMI sur la Guinée, près de ¾ des dédouanements des importations commerciales en Guinée ne vont pas dans les caisses de l’État. Ceci est un énorme manque à gagner. De ce fait, l’amélioration des procédures de recouvrement des taxes commerciales et le renforcement de l’audit des procédures de recouvrement doivent être une priorité immédiate du gouvernement. Des actions sont déjà entreprises par le Ministre du budget dans ce sens. Ce sont des actions à encourager, à renforcer et à généraliser.
Cette analyse du cadre institutionnel, de la capacité d’absorption et de la capacité budgétaire du gouvernement nous amène objectivement à conclure que la situation économique actuelle est trop fragile pour supporter ce vaste plan d’investissement du gouvernement. Cela dit, il est utile de préciser que je ne suis pas en train de décourager le gouvernement à investir pour stimuler l’économie guinéenne. Le bon sens serait plutôt de revoir l’ampleur du plan d’investissement du gouvernement afin de l’adapter aux capacités institutionnelle, d’absorption et budgétaire de l’État. Cela consiste à mettre en veilleuse certains projets pour se concentrer sur les projets les plus utiles pour l’économie guinéenne.
Parmi les projets à mettre en veilleuse : il faut compter d’abord tous les projets miniers. Il faut enfin sortir de l’obsession des mines. Avec une courbe du prix des manières premières en baisse durable, c’est une mauvaise décision que d’investir dans les mines. Le mégaprojet Simandou est encore là pour nous le rappeler. Puis, il faut procéder à une sélection minutieuse des grands projets résidentiels que le gouvernement compte réaliser par des partenariats public-privés. Quant au projet de barrage hydroélectrique Souapiti qui vaut $1,567 milliards, c’est vrai qu’il est d’une grande importance pour la Guinée. Cependant, la précipitation dans ce projet nous conduirait à la catastrophe. Il est préférable de rallonger le temps de négociation pour obtenir, coûte que coûte, un prêt concessionnel d’au moins 50% pour ce projet. À ce niveau aussi, il faut tirer toutes les leçons du barrage Kaléta dont la production est de plus en plus déclinante.
Parmi les projets les plus utiles qu’il faut retenir à court et moyen terme : figurent les investissements dans l’agriculture, dans les infrastructures routières, et dans la création des 750 milles emplois pour les jeunes.
- Les efforts entrepris par le gouvernement sur le plan agricole sont remarquables en matière de fourniture d’intrants. Mais pour véritablement transformer le secteur agricole en Guinée, il faut toucher de manière décisive à deux facteurs : la superficie cultivable des agriculteurs et l’investissement privé dans le secteur. En dépit de la fourniture d’intrants, si la superficie cultivable reste de moins de 2 hectares par cultivateurs comme c’est le cas aujourd’hui, il y a peu de chance que l’agriculture guinéenne parvienne à réussir sa transition d’une « agriculture vivrière » vers une véritable « agro-industrie » susceptible de couvrir la demande domestique et conquérir les marchés régionaux. Il est donc nécessaire d’initier le plus tôt possible les consultations nécessaires en vue d’élaborer une réforme agraire à la hauteur des ambitions agricoles de la Guinée. Une politique agricole réussie sera un moteur structurant de l’économie guinéenne dans la mesure où, non seulement c’est un secteur qui a un potentiel important de valeur ajoutée en milieu rural comme en milieu urbain, mais de plus, 75% des emplois sont encore dans l’agriculture en Guinée.
- La réhabilitation et la réalisation de nouvelles infrastructures routières de qualité favoriseront les échanges commerciaux domestiques et extérieurs. Ces infrastructures sont indispensables pour la Guinée. Elles feront gagner l’économie guinéenne en vitalité et elles attireront de nouveaux investisseurs. Il est donc nécessaire de maintenir ces projets d’infrastructures routières tout en corrigeant totalement les pratiques d’attribution des marchés publics afin de se rassurer que les marchés sont attribués au meilleur coût et à des entreprises capables de produire des livrables de qualité dans les délais impartis.
- Le projet de création de 750 milles emplois pour les jeunes est d’une urgence absolue aujourd’hui pour la Guinée. Il ne vaut que $139 millions, et pourtant il est socialement et économiquement l’un des plus utiles. Un jeune qui retrouve un emploi, c’est une famille soulagée, c’est une dignité retrouvée, et c’est une augmentation du niveau de consommation. À ce niveau, le gouvernement a déjà élaboré un projet multisectoriel qui implique plusieurs ministères. C’est un projet qui met surtout l’accent sur l’entreprenariat des jeunes. Cependant, en se concentrant uniquement sur l’entreprenariat, il y a très peu de chance que les 750 milles emplois puissent voir le jour au cours des 4 prochaines années. Afin que ce projet soi un succès, le gouvernement doit y inclure un volet « travaux publics ». Ce volet travaux publics consiste à offrir aux jeunes des quartiers, des districts et des CRD la possibilités de participer à des travaux de réhabilitations et de maintenance des infrastructures locales (écoles, centre de santé, pavage des rues, assainissement, distribution d’eau, etc) moyennant un salaire hebdomadaire. En procédant ainsi, non seulement l’impact de création d’emplois sera significatif car des milliers de jeunes sous-qualifiés y auront accès, mais de plus, les communautés locales verront au quotidien les bénéfices de ces travaux à l’échelle locale. Au sein de la LDRG, nous avons déjà publié une politique complète de mise en œuvre d’un système de protection sociale pour la Guinée dont l’un des volets est constitué de « travaux publics ». Nous invitons donc le gouvernement guinéen à s’en inspirer.
- Finalement, au sein du vaste plan d’investissement envisagé par le gouvernement, il y a un secteur qui n’y figure pas : il s’agit du secteur des télécoms. En effet, rien qu’en observant de près l’économie guinéenne, on se rend facilement compte que l’un des seuls secteurs qui se porte bien malgré les crises, c’est le secteur des télécoms. C’est un secteur qui connaît une bonne croissance avec une concurrence balbutiante qui avantage les consommateurs. La grande majorité de la population possède au moins un téléphone portable intelligent qui est connecté. À l’échelle du continent, l’industrie du téléphone mobile compte aujourd’hui pour $100 milliards dans les économies africaines, et cela va tripler d’ici 2020. La question consiste donc à savoir comment encourager les entreprises qui évoluent dans ce secteur à investir massivement pour élargir et approfondir ce secteur afin que l’économie guinéenne puisse en tirer tous les bénéfices. À cet effet, au lieu d’aller dans le sens de l’augmentation des taxes et des tarifs de connexion, le gouvernement devrait plutôt s’inspirer de ce qui se passe au Kenya avec l’application de transfert d’argent : M-Pesa. Grâce à cette application qui génère plus de 9 millions de transactions financières chaque jour, l’inclusion financière au Kenya est passée de 20% de la population en 2006 à 67% en 2013. Voilà comment les télécoms peuvent transformer une économie.
Mesdames et messieurs,
En mettant en veilleuse les projets miniers hypothétiques et les infrastructures résidentielles sans preneurs, en rallongeant les négociations pour obtenir un meilleur financement concessionnel pour le projet Souapiti, et en mettant l’accent sur les projets agricoles, les projets d’infrastructures routières, le projet de création de 750 milles emplois pour les jeunes, et les projets du numérique tels que M-Pesa, non seulement le petit soubassement que le gouvernement a pu construire au cours des 9 derniers mois pourra soutenir une relance économique durable conduite en profondeur par une masse d’emplois et d’acteurs privés et publics, mais de plus, la finalisation des réformes structurelles à moyen terme aura suffisamment restauré la compétitivité et la capacité d’absorption de l’économie guinéenne pour lui permettre d’accueillir des investissements beaucoup plus importants. Cette politique économique et ce plan d’investissement alternatif tels que nous l’envisageons au sein de la LDRG ont l’avantage de pouvoir produire des résultats concrets tout en ne déséquilibrant pas la situation budgétaire de l’État.
Guinéennes et guinéens,
Mes très cher(e)s compatriotes,
Après les mauvaises décisions économiques du premier mandat, puis les violents chocs d’Ébola et de baisse du prix des matières premières, aujourd’hui il apparaît que l’économie guinéenne a une seconde chance pour se remettre sur pied et retrouver des couleurs. Mais cela nécessite des efforts de toutes les composantes de la nation : le gouvernement et l’opposition, le secteur public et le secteur privé, ainsi que la société civile. Nous sommes tous invité à jouer une partition, d’où la nécessité d’arriver à un pacte national pour garantir la stabilité. Si la Guinée manque cette seconde chance, nul ne sait vers quoi nous nous dirigerons. Mais s’il y a une chose qui est évidente, c’est que personne ne sortira gagnant d’un pourrissement de la situation économique en Guinée. Aujourd’hui donc, j’invite le Président de la République à créer les conditions de ce pacte national. J’invite l’opposition à beaucoup plus de responsabilité car, non seulement nul ne peut changer la Guinée par un coup de baguette magique, mais de plus, ils ont tous occupés les plus hautes fonctions de l’État et portent une certaine responsabilité dans l’état actuel du pays. J’appelle la société sociale indépendante à se joindre à la LDRG pour continuer à œuvrer sans relâche pour doter la Guinée d’institutions fortes et légitimes capables de ramener de manière durable la stabilité et garantir la bonne gouvernance. Nous sommes une nation qui a connu beaucoup de blessures. Il y aussi eu beaucoup d’incompréhensions. Mais nous n’avons plus le temps de nous lamenter sur notre sors. C’est ensemble, comme une nation, que nous allons nous relever, surmonter tous ces défis, et hisser la Guinée au rang des meilleurs pays. Je n’ai aucun doute la dessus, nous en sommes capables!
Mamadou Oury Diallo
Président de la LDRG