Le prix Nobel de la paix est revenu vendredi à la Campagne internationale pour l'abolition des armes nucléaires (ICAN), qui a aussitôt estimé que la présidence de Donald Trump montrait à quel point l'arme atomique est dangereuse.
Le comité Nobel norvégien récompense la lutte contre ces armes de destruction massive au moment même où le président américain menace de remettre en cause l'accord sur le nucléaire iranien et où il échange des propos belliqueux avec Kim Jong-Un autour du programme nucléaire nord-coréen.
«L'élection du président Donald Trump a mis beaucoup de gens très mal à l'aise, à l'idée qu'il peut, à lui seul, autoriser l'utilisation des armes nucléaires», a déclaré la directrice de l'ICAN, Beatrice Fihn, déplorant que le nouvel occupant de la Maison-Blanche «n'écoute pas» toujours les experts.
Coalition regroupant des centaines d'ONG, l'ICAN s'est vu attribuer la prestigieuse récompense pour avoir contribué à l'adoption cette année d'un traité historique d'interdiction de l'arme atomique «Nous vivons dans un monde où le risque que les armes nucléaires soient utilisées est plus élevé qu'il ne l'a été depuis longtemps», a souligné la présidente du comité Nobel norvégien, Berit Reiss-Andersen. «Certains pays modernisent leurs arsenaux nucléaires et le danger que davantage de pays se procurent des armes nucléaires est réel, comme le montre la Corée du Nord».
Soixante-douze ans après Hiroshima et Nagasaki, 122 pays ont adopté le 7 juillet à l'ONU un traité qui pose pour la première fois le principe de l'interdiction de mettre au point, stocker ou menacer d'utiliser l'arme atomique.
Sa portée reste essentiellement symbolique puisque les puissances nucléaires ont toutes refusé d'y adhérer. L'OTAN -dont la Norvège est membre- l'a condamné, invoquant notamment la «grave menace» nord-coréenne.
Le Nobel de la paix est «un encouragement» aux pays non-signataires pour qu'ils oeuvrent eux aussi à débarrasser la planète des armes nucléaires, a souligné Mme Reiss-Andersen.
«Trump est un idiot»
Le président Trump doit certifier avant le 15 octobre auprès du Congrès des États-Unis que Téhéran respecte ses engagements pris dans le cadre de l'accord de 2015 qui impose de strictes restrictions au programme nucléaire iranien en échange d'une levée des sanctions.
Selon la presse américaine, il annoncera vendredi prochain son refus de le certifier, ouvrant la voie à une réintroduction de sanctions, ce qui pourrait faire dérailler l'accord.
«Nous ne taclons personne avec ce prix», a répondu Mme Reiss-Andersen, à la question de savoir si le Nobel visait le président Trump.
Le 4 octobre, Mme Fihn avait été moins diplomate, lorsqu'elle avait tweeté : «Donald Trump est un idiot». Un message qu'elle dit regretter.
«C'est un moment de grandes tensions dans le monde, quand les déclarations enflammées pourraient tous nous conduire très facilement, inexorablement, vers une horreur sans nom», a-t-elle déclaré vendredi. «S'il y avait un moment pour que les nations déclarent leur opposition sans équivoque aux armes nucléaires, ce serait maintenant».
Les diplomates s'inquiètent des répercussions négatives d'une volte-face américaine sur le dossier iranien, alors que la communauté internationale espère encore faire revenir la Corée du Nord à la table des négociations pour lui faire renoncer à ses propres ambitions nucléaires.
Le sixième essai nucléaire nord-coréen le 3 septembre et des tirs de missiles ont été suivis d'insultes, de menaces et de démonstrations de force entre Pyongyang et Washington. Donald Trump a menacé la Corée du Nord de «destruction totale» et qualifié les négociations de «perte de temps».
Encore des milliers d'ogives
Depuis sa création en 2007, l'ICAN fait valoir que le recours aux armes nucléaires aurait des conséquences catastrophiques, ce qui rend indispensable leur élimination.
«Le désarmement n'est pas un rêve, mais une nécessité humanitaire urgente», a-t-elle insisté vendredi.
La campagne est soutenue par de nombreux militants de base mais aussi par d'anciens prix Nobel tels que Desmond Tutu et le dalaï lama et d'autres personnalités comme Yoko Ono et Martin Sheen.
Bien que la quantité d'ogives ait fondu en 30 ans -elle est passée d'environ 64 000 en 1986 à un peu plus de 9000 en 2017, selon le Bulletin of the Atomic Scientists (BAS)-, le nombre des pays à en être détenteurs a augmenté.
Ils sont aujourd'hui neuf à posséder de telles armes de destruction massive : États-Unis, Russie, France, Grande-Bretagne, Chine, Inde, Pakistan, Corée du Nord et Israël.
Le Kremlin a dit «respecter» le choix du comité Nobel.
Le Nobel, qui consiste en un diplôme, une médaille d'or et un chèque de neuf millions de couronnes suédoises (environ 943 000 euros), sera officiellement remis à Oslo le 10 décembre, date-anniversaire de la mort de son fondateur, l'industriel et philanthrope suédois Alfred Nobel (1833-1896).
La liste des lauréats engagés contre le nucléaire
Avant la Campagne internationale pour l'abolition des armes nucléaires (ICAN) distinguée vendredi, le prix Nobel de la paix a récompensé plusieurs acteurs engagés dans la lutte contre la prolifération nucléaire.
2017: la Campagne internationale pour l'abolition des armes nucléaires (ICAN), pour ses efforts contre ces armes de destruction massive au coeur de tensions internationales en Iran et Corée du Nord.
2005: l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et son directeur Mohamed El Baradei (Égypte) pour «leurs efforts visant à prévenir l'usage de l'énergie nucléaire à des fins militaires».
1995: le Mouvement anti-nucléaire Pugwash (fondé au Canada) et son créateur, le physicien Joseph Rotblat (Grande-Bretagne) pour «leurs efforts pour réduire et, à plus long terme, éliminer les armes nucléaires dans le monde».
1985: l'Internationale des médecins pour la prévention contre la guerre nucléaire (fondée aux États-Unis) pour son «travail d'information» afin d'améliorer la prise de conscience des conséquences d'une guerre nucléaire.
1982: les diplomates suédois Alva Myrdal et mexicain Alfonso Garcia Robles, pour leur rôle dans les négociations menées aux Nations unies sur le désarmement.
1975: le dissident et physicien nucléaire Andreï Sakharov (URSS), pour sa lutte en faveur du désarmement nucléaire.
1974: l'ancien Premier ministre japonais Eisaku Sato, pour avoir renoncé à l'option nucléaire pour son pays.
1962: le chimiste et physicien américain Linus Carl Pauling, pour sa campagne contre les essais nucléaires.
1959: l'homme politique britannique Philip Noel-Baker, pour ses efforts afin d'empêcher la guerre nucléaire entre les États-Unis et l'Union soviétique.
Source: http://www.lapresse.ca/international/201710/06/01-5139111-le-nobel-de-la-paix-a-la-campagne-antinucleaire-ican.php