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Alors que la politique-politicienne semble être devenue la religion favorite des  médias et des acteurs politiques guinéens, pendant ce temps personne ne s’interroge véritablement sur la gestion économique du pays. Pourtant, voilà bientôt une année que le Premier Ministre Kassory Fofana est aux commandes du gouvernement. Sur le plan sociopolitique, il est connu que la grève des enseignants et les manifestations politiques sont gérées de manière beaucoup moins efficace que les gouvernements précédents. Mais qu’en est-il de l’économie guinéenne ? Est-elle dans de bonnes mains?

Le Rapport sur la Guinée publié en janvier 2019 par le Fonds Monétaire International (FMI) nous donne quelques éléments pour apprécier la situation économique de la Guinée. En effet, il ressort de ce rapport que c’est un statu quo dans la médiocrité qui prévaut en matière de gouvernance économique en Guinée. Comparée à 2017, certes les crédits bancaires au secteur privé ont augmenté de près de 9%, les exportations de produits miniers à l’état brut ont augmenté de près de 70%, et les réserves de devises à la Banque centrale se sont stabilisées à hauteur de 3,2 mois d’importations; cependant, le refinancement du gouvernement par les banques locales a également augmenté de 28% avec une inflation qui repart légèrement en hausse et un chômage des jeunes spectaculairement élevé. Non seulement cette augmentation galopante du refinancement du gouvernement par les banque locales va très probablement freiner à nouveau à court-terme le crédit bancaire accordé au secteur privé guinéen, mais de plus, elle entraîne des arriérés de paiement qui fragilise le système bancaire local. Cette difficulté du gouvernement à payer ses arriérés aux banques locales s’explique également par le non contrôle des dépenses publiques et une grande défaillance au niveau de la gestion et de la sécurisation des recettes publiques.

Concernant les dépenses publiques et la gestion des recettes publiques, le problème reste entier : les dépenses publiques sont désordonnées et elles ne sont pas optimales (les contrats de gré-à-gré et les demandes de retrait non-budgétisés font encore légion). En la matière, le FMI fait les mêmes recommandations depuis plus de 30 années aux gouvernants successifs de ce pays, à savoir : renforcer la lutte contre la corruption, renforcer la bonne gouvernance des entreprises publiques, renforcer les procédures de préparation et d’exécution du budget, les audits internes et externes, ainsi que le suivi et la sécurisation des recettes publiques. Ce sont là les mesures et des actions dont le gouvernement de monsieur Kassory Fofana semble incapable de prendre jusqu’à présent. C’est cette incapacité à agir sur ces domaines aussi cruciaux qui entraîne le déséquilibre des finances publiques et prive le gouvernement des ressources nécessaires pour rembourser ses arriérés et investir dans des programmes sociaux utiles à l’ensemble de la population.

Le dernier élément dans le rapport du FMI qui devrait attirer l’attention de tout un chacun est la question de la dette publique. Cette question mérite une grande attention parce que, très malheureusement, la Guinée fait partie de ces pays où l’efficacité de la dette publique est quasi-nulle depuis les ajustements structurelles des années 90. Les gouvernants que nous avons connus jusqu’à présent savent remplir tous les critères et se mettre à plat-ventre pour s’endetter. En contrepartie, il n’y a aucune accumulation de capital public sous forme d’infrastructures. Fort heureusement que des institutions comme le FMI prennent la peine de faire un suivi dans ce domaine et oblige, dans le cadre de leur accord de financement, les gouvernants à contracter des prêts concessionnels (des prêts possédant un élément don substantiel). En dépit de cela, le gouvernement de Kassory Fofana à quand même trouvé le moyen de ne pas respecter ce critère en contractant plusieurs prêts non-concessionnels. C’est ainsi qu’un prêt non concessionnel de $1,2 milliards a été contracté pour la construction du barrage de Souapiti. Non seulement aucune étude n’a été faite par la Cour des comptes et au niveau du Parlement pour prouver que ce barrage coûte effectivement $1,2 milliards, mais de plus, la construction de ce barrage n’a fait l’objet d’aucune offre de marché public sincère. De même, en évoquant la nécessité de réhabilitation du système routier de Conakry, deux autres prêts non-concessionnels d’un montant total de $598 millions ont été contacté par le gouvernement de monsieur Kassory Fofana. De la même manière, non seulement aucune étude n’a été faite au niveau de la Cour des comptes pour confirmer que cette réhabilitation des routes coûte effectivement $598 millions, mais de plus, les travaux de réhabilitation sont accordés à des entreprises suite à des marchés de gré-à-gré. 

Il est quelque part vrai que la construction du barrage de Souapiti et la réhabilitation des infrastructures routières sont nécessaires pour une croissance durable en Guinée; cependant, les pratiques qui consiste à endetter lourdement les prochaines générations tout en enrichissant, grâce à des marchés de gré-à-gré, un club d’entrepreneurs qui partagent les bénéfices de la surfacturation des projets publics avec les gouvernants sont détestables, irresponsables et répréhensibles. Il est même utile de rappeler ici que les deux derniers prêts non-concessionnels contractés par monsieur Kassory Fofana n’ont pas fait l’objet d’une ratification à l’Assemblée nationale; de plus, ce sont des prêts garantis par les recettes minières de la Guinée. C’est-à-dire que si la Guinée rencontre des difficultés à rembourser ses créanciers, monsieur Kassory Fofana demande aux créanciers de s’emparer des recettes minières du pays. C’est soit que monsieur Kassory est sûre à 100% de sa capacité à rembourser ces prêts, soit qu’il a perdu la raison. Mais il est évident qu’aucun créancier sain d’esprit ne peut s’emparer des recettes minières de la Guinée. L’une des priorités de la prochaine Assemblée nationale sera de réexaminer cet accord de financement odieux. Le FMI exprime la même crainte vis-à-vis de ces prêts non-concessionnels garantis par les recettes minières du pays. Cette situation soulève naturellement la question de la nécessité absolue de renforcer, grâce au soutien technique du FMI, les capacités de gestion et de suivi de la dette publique guinéenne afin de contraindre les gouvernants à la responsabilité extrême, et de maintenir la dette publique à un niveau soutenable.

En guise de conclusion, il faut rappeler que la Guinée entre dans une période de forte instabilité politique avec les élections législatives et présidentielles en vue. Non seulement ce contexte ne favorise pas les réformes, mais de plus, tout au contraire, il encourage le plus grand laxisme dans la gestion économique du pays. Avec une croissance économique revue à la baisse et des recettes publiques qui ne sont jamais suffisantes du fait de la mauvaise gouvernance, il faut en plus envisager une explosion de la dépense publique au cours des prochains mois. Ces dépenses publiques seront destinées d’une part à financer des projets populistes octroyés par des marché de gré-à-gré, et d’autre part à « arroser » les alliés du parti au pouvoir. De ce fait, comme ce fut le cas durant les élections présidentielles de 2015, les réserves de devises à la Banque centrale sont en danger. De même, l’inflation va probablement s’envoler et des projets publics en cours risquent très forts de s’arrêter. Ceci est bien entendu le défi auquel sera confronté le gouvernement actuel. Nous espérons être démenti par les faits. Mais en tout état de cause, durant cette période, et dans le contexte d’une Assemblée nationale dont le mandat a expiré, la société civile indépendante, y compris les médias, est appelée à jouer le rôle très important de contre-pouvoir et de contrôle des actions du gouvernement.

Mamadou Oury Diallo
Président de la LDRG

Tag(s) : #Afrique, #Economie-Guinée, #Guinée, #Afrique de l'Ouest