
J’ai récemment suivi sur un média en ligne l’intervention de l’ex-ministre de la Défense, Maître Kabele Camara, à propos de la constitution rédigée à huis-clos et décrétée en 2010 contre le peuple de Guinée.
Maître Kabele semblait très convaincu lorsqu’il affirma que l’organe qui a rédigé cette constitution, notamment le CNT (Conseil Nationale de la Transition), était constitué de guinéennes et guinéens de toutes les sensibilités qui ont fait un très bon travail. De ce fait, selon Maître Kabele, une révision constitutionnelle ne se justifie pas aujourd'hui en Guinée.
1-Premièrement, nous allons nous intéresser à la forme: qui a nommé les membres du CNT? Ils furent nommés par un général d’armée putschiste et des acteurs politiques qui n’ont aucun intérêt à une véritable rupture avec les méthodes de gouvernance du passé. Donc, les membres du CNT n’avaient aucune légitimité pour écrire la Loi fondamentale du pays. Puis, qui était membre du CNT? Ce sont les mêmes acteurs qui ont profité du régime militaire jusqu’à la dernière minute. Donc c’est l’élite politique connue à Conakry et ayant les mêmes intérêts. Les jeunes victimes des répressions de Juin 2006 et Janvier 2007 n’étaient pas représentés au sein du CNT. Finalement, si le travail qu’ils ont fait était ci-bien comme le prétend Maître Kabele, pourquoi leur révision constitutionnelle s’est faite à huis-clos? Les citoyens qui ne faisaient pas parti du club de l’élite politique de Conakry n’avaient pas le droit de savoir le contenu de la constitution que le CNT rédigeait. Et pire encore, le CNT a proposé à un général d’armée putschiste de décréter la constitution en lieu et place d’un référendum populaire. Donc, non seulement ils n’avaient aucune légitimité, mais de plus, faire décréter leur constitution par un putschiste frappe également d’illégitimité leur constitution. Nous sommes donc en face d’une double illégitimité. Ça c’était pour la forme.
2-Deuxièmement, intéressons-nous au fond des choses: dans son intervention, Maître Kabele lisait les articles de la constitution avec passion. Mais nous avons l’impression que les privilèges et le confort des fonctions ont ôté à l’ex-ministre la faculté de percevoir la réalité. Ces dix dernières années, sur le plan politique, la Guinée n’était pas gouverné par la constitution. Elle était gouvernée par des accords politiques qui se sont avérés plus forts que la constitution. Puis, il ne faut jamais oublier qu’une révision constitutionnelle ne se justifie que si nous sommes prêts à tirer les leçons du passé pour éviter que les mêmes erreurs se reproduisent à l’avenir. Avec le régime du général Lansana Conté, les principaux problèmes de gouvernance que nous avions étaient: la corruption, la non-séparation des pouvoirs et le manque d’État de droit. Maître Kabele, avec votre constitution, est-ce que cela a changé? La situation est même devenue pire. Les marches politiques intempestives s’y rajoutent désormais, empêchant toute stabilité indispensable au développement socio-économique du pays. Finalement, nous nous retrouvons aujourd’hui dans une situation où des élections locales ont lieu mais les élus locaux et les conseils de quartiers et de districts ne sont pas installé. De même, nous nous retrouvons face à une Assemblée nationale expirée, qui n’a donc plus aucune légitimité de toucher aux textes de loi du pays. Une bonne Constitution ne peut en aucun cas permettre de telles défaillances institutionnelles.
Pour conclure, je dirai qu’il faut vraiment être Maître Kabele pour ne pas apercevoir l’illégitimité, l’incohérence et la nocivité de la constitution rédigée à huis-clos et décrétée contre le peuple de Guinée en 2010. Après plusieurs années de service en Guinée, dont des médiations à n’en pas finir, l’ex-représentant de l’Union Européenne en Guinée, dans son discours d’adieu, est arrivé à la conclusion que “la Guinée doit changer de système“. Alors, à présent la question que plusieurs acteurs politiques se posent est de savoir est-ce le moment idéal pour réviser la constitution guinéenne? En enclenchant un processus de révision constitutionnelle, est-ce que le Chef de l’Etat n’aura pas un mandat additionnel?
Pour nous au sein de la LDRG qui faisons de la réforme constitutionnelle la priorité de notre agenda politique (Près de 1600 signataires, 35 jours de jeûne et 208 km de marche), ces questions sont ridicules. Il n’y aura jamais un moment idéal pour reformer. La réforme trouvera toujours des résistances. C’est soit qu’on est prêt à réformer et qu’on se donne les moyens d’y arriver, ou qu’on n’est pas prêt. Aujourd’hui, plus que jamais, nous estimons que c’est le moment de doter notre pays d’une nouvelle Constitution contenant des garde-fous suffisamment forts pour mettre un terme aux abus de pouvoir et contraindre les acteurs politiques à faire de la politique de manière responsable et utile à la nation. Puis, les opposants à la révision constitutionnelle affirment que, parce que le Chef de l’État a deux fois prêté serment sur cette constitution, il ne peut donc pas la modifier. Mais c’est totalement ridicule comme argument car cela voudrait dire qu’il n’y aura jamais de révision constitutionnelle en Guinée, car tout Président élu doit prêter serment sur la constitution existante. C’est la constitution rédigée à huis-clos par le CNT de Maître Kabele qui donne le pouvoir au Chef de l’État de soumettre un Référendum au peuple. Par ailleurs, la question à savoir si le Chef de l’Etat aura un mandat additionnel suite à la révision constitutionnelle est une question auxiliaire pour nous. Bien sûr que, en cas d’une révision constitutionnelle, il aura l’option de concourir pour un second et dernier mandat dans le cadre de la nouvelle Constitution. Ce sont les règles du jeu démocratique. Par contre, j’ai bien dit qu’il aura “l’option” et non le “droit naturel”. Parce que pour bénéficier d’un nouveau mandat, il ne suffit pas d’une révision constitutionnelle substantielle, il faut surtout être élu par le peuple lors d’une élection présidentielle propre, crédible et transparente qui serait organisée dans un contexte nouveau, celui des nouvelles institutions issues de la révision constitutionnelle. Les acteurs politiques qui associent “révision constitutionnelle” à “3ème mandat” avouent tout simplement leur incapacité à battre Alpha Condé dans les urnes.
J’invite tous les jeunes de ma génération à prendre de la distance avec les querelles politiciennes. Nous les avons tous vu à l’œuvre et nous savons pertinemment que les intérêts de ces politiciens ne sont pas les mêmes que ceux du peuple. La lutte de notre génération consiste d’abord à doter notre nation d’une Nouvelle République moderne, juste, équitable et sans abus de pouvoir. Une Nouvelle République contenant des garde-fous suffisamment forts pour mettre un terme aux abus de pouvoir et contraindre les acteurs politiques à faire de la politique de manière responsable et utile à la nation.
ENSEMBLE, TOUT DEVIENT POSSIBLE!!
M.O.D