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Suite à un débat de plusieurs mois ponctué par des manifestations populaires et les consultations nationales, le Président Alpha Condé a finalement dévoilé le 20 décembre 2019 le Projet de Constitution qu’il souhaite soumettre au Référendum afin de remédier au manque de légitimité et aux insuffisances de la constitution de mai 2010 en Guinée. Le Projet de Constitution du Président Alpha Condé comprend 161 articles, y compris les dispositions transitoires. Dans cette publication, je procède à une analyse de ce Projet de Constitution afin de révéler sa cohérence et sa compatibilité avec les aspirations de progrès démocratiques du Peuple de Guinée.

I-CONCERNANT L’UNITÉ ET L’INTÉGRATION AFRICAINE
La Projet de Constitution du Président Alpha Condé replace la Guinée au cœur du projet Panafricaniste qui, lui-même, est au cœur de l’histoire de notre pays :

1.    En effet, l’article 156  affirme que « la République de Guinée peut conclure avec tout État Africain des accords d’association, comprenant abandon partiel ou total de souveraineté en vue de réaliser l’Unité Africaine ».

À l’heure où l’actualité internationale nous apprend qu’il ne faut jamais se reposer sur ses acquis en matière d’ouverture démocratique, cette affirmation Panafricaniste est un progrès considérable à ne pas négliger.

II-CONCERNANT LES DROITS, LIBERTÉS ET DEVOIRS
À ce titre, je ne relève aucune régression majeure.  Tout au contraire, je note les 5 éléments fondamentaux suivants : 

1.    L’abolition de la peine de mort (article 6);
2.    Le droit de désobéissance à des ordres illégaux concernant la torture et des traitements inhumains (article 8);
3.    La parité homme/femme érigée en objectif politique et social, avec obligation de respect d’un quota minimum de représentativité des femmes de 1/3 au sein des organes délibérants de l’État (article 9);
4.    L’école obligatoire et gratuite pour les enfants jusqu’à l’âge de 16 ans (article 24); et
5.    Le droit à un environnement sain, portant obligation à l’État de préserver le patrimoine national tout en interdisant le transit, l’importation, le stockage illégal et le déversement sur le territoire national des déchets toxiques polluants (article 22).

En plus d’autres articles déjà réaffirmés dans ce Projet de Constitution, les 5 éléments soulignés plus haut sont de nature à octroyer des droits fondamentaux nouveaux aux populations guinéennes. 

Le seul bémol que je rajouterai à ce titre se situe en article 12 qui stipule que « Nul ne peut être poursuivi, arrêté, gardé à vue, inculpé, détenu ou condamné qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement aux faits qui lui sont reprochés ». Cette disposition est tout à fait correcte, cependant il est nécessaire de rajouter un aliéna qui prévoit des exceptions pour les cas d’abus graves; car il est tout à fait possible que des faits proscrits sous le coup d’une loi antérieure tombent sous le champ d’application d’une nouvelle loi sauf si le délai de prescription est échu. 

III-CONCERNANT LE POUVOIR EXÉCUTIF
Dans le projet de Constitution du Président Alpha Condé, la Guinée reste un régime présidentiel fort. Le Président de la République préside le Conseil des ministres, il détermine la politique de la nation, il nomme et met fin aux fonctions du Premier ministre et des ministres, il fixe par décret les attributions des ministres (articles 35, 39, 59, 60).

Au titre du Pouvoir Exécutif, il y a des régressions qui sont susceptibles d’encourager les abus de pouvoir :

1.    D’abord, en l’article 39 il est dit que le Président de la République nomme à tous les emplois supérieurs civils et militaires. En tant que Chef d’État, le Président de la République doit effectivement disposer de ces pouvoirs de nomination. Cependant, pour certaines hautes fonctions qui sont de nature à influencer considérablement la confiance des populations et des tierce parties envers les institutions étatiques, il est très important, comme ça se fait désormais un peu partout ailleurs, que ces nominations interviennent suite à un processus de validation impliquant l’Assemblée nationale. Ces hautes fonctions en questions sont : le Gouverneur de la Banque centrale, le Chef d’État major général des armées, le Président de la Cour des Comptes, le Président de la Cour Suprême, et les Gouverneurs de région. À ces hautes fonctions, il est très important que la nomination des personnalités choisies par le Président de la République soi approuvée au moins par une majorité qualifié des membres de l’Assemblée nationale. Cela permet d’éviter des nominations hasardeuses et fantaisistes à ces hautes fonctions. De même, c’est un garde-fou contre la nomination d’extrémistes de tout genre à ces fonctions d’une très grande importance. Et cela permet aussi de rétablir la confiance envers les institutions.
2.    Puis, en l’article 40, non seulement le verrou d’intangibilité sur la durée et le nombre de mandats présidentiels a sauté, mais de plus, nous assistons à un rallongement de la durée du mandat présentiel de 5 à 6 ans. Ceci sera un facteur d’instabilité à l’avenir. Notre époque exige que les élus reviennent aussitôt et aussi souvent que possible vers le peuple pour renouveler leur légitimité afin de pouvoir gouverner dans la stabilité. De ce fait, non seulement il est important de remettre les intangibilités, mais de plus, il faut ramener le durée du mandat à 5 ans, renouvelable une seule fois. 
3.    Finalement, dans ce Projet de Constitution, il apparaît que la fonction de Premier ministre perd des galons. En effet, ensemble, les articles 49 et 64 nous indiquent que le Premier ministre n’est plus une institution constitutionnelle. Alors que les responsables des institutions constitutionnelles sont tenus de déclarer leurs biens auprès de la Cour constitutionnelle, le Premier ministre et les ministres quant a eux déclarent leurs biens auprès de la Cour des Comptes. Ces deux articles sont à la limite de l’incohérence. Mais de toute évidence, même le Gouverneur de la Banque centrale et les responsables des régies financières de l’État semblent être désormais supérieurs au Premier ministre.

Dans le Projet de Constitution du Président Alpha Condé, il ressort donc l’affirmation d’un régime présidentiel fort avec des pouvoirs absolus en terme de nomination, l’affaiblissement du Premier ministre, et un pouvoir éloigné des populations du fait du rallongement du mandat présidentiel. Ceci n’est pas une garantie de stabilité pour les années à venir. L’autorité de l’État va ainsi continuer à s’émietter.

IV-CONCERNANT LE POUVOIR LÉGISLATIF AINSI QUE SES RAPPORTS AVEC LE POUVOIR EXÉCUTIF
À ce titre également, il y a 3 principaux progrès non négligeables :

1.    D’abord, en l’article 68 l’âge minimum pour être éligible comme député de la nation a été ramené à 18 ans;
2.    Puis, le droit de pétition a été clarifié en l’article 92. Toute pétition qui réunira 150 000 signatures d’électeurs et qui sera soutenue par 1/10 des députés sera inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et fera l’objet d’un examen; et
3.    Finalement, en l’article 98, la « motion de censure » a été rajoutée comme outils de contrôle et d’influence des actions du gouvernement. De ce fait, un quota de 1/10 des membres de l’Assemblée nationale est suffisant pour déclencher une motion de censure envers le gouvernement (Premier ministre et ministres). Même si la motion ne peut être adoptée qu’à ¾ des votes, cependant un Gouvernement contre lequel une telle motion est adoptée devra obligatoirement remettre sa démission au Président de la République. En conséquence, il y a lieu d’amender l’article 62 qui dit que le Premier ministre est responsable devant le Président de la République. En réalité, en tenant compte de l’article 98, le premier ministre est aussi responsable devant l’Assemblée nationale. Donc l’article 62 devrait être lu comme suit « le Premier ministre est responsable devant le Président de la République et l’Assemblée nationale ». 

En plus des commissions parlementaires, et des questions écrites et orales auxquelles les ministres sont tenus de répondre, les trois points énoncés plus hauts seront suffisants pour avoir une vie parlementaire intéressante. Ceci est de nature à diminuer les contestations politiques extra-parlementaires (marches politiques). Ces 3 éléments sont donc de nature à contribuer au retour de la stabilité politique aussi tant peu soit-il que les élections soient suffisamment transparentes pour imprimer une Assemblée nationale fidèlement représentative du corps politique national. 

Le seul bémol que je rajouterai à ce titre est le fait que le Gouvernement continu d’avoir une prééminence totale quant au vote de la Loi de finances. En effet, dans ce Projet de Constitution comme dans l’ancien, il apparaît en l’article 83 que le Gouvernement peut malgré tout appliquer son budget par Ordonnance même si l’Assemblée nationale ne l’a pas adopté au 31 décembre. Cependant, la motion de censure permet d’équilibrer ce risque d’abus du Gouvernement. Par ailleurs, autant je reproche à ce Projet de Constitution une hyper présidentialisation, autant je trouve que l’article 101 vient empêcher le Président de la République d’assumer efficacement ses fonctions de garant de l’intégrité territoriale. En effet, l’article 101 indique que « l’État de guerre » ne peut être déclaré par le Président de la République qu’après avoir été autorisé par l’Assemblée nationale. Nous n’allons tout de même pas parlementer pendant qu’un ennemi est en train d’envahir le pays. Dans ce cas, normalement le Président de la République doit disposer du pouvoir de déclarer la guerre après simple avis de l’Assemblée nationale. Cependant, cet avis doit être renouvelé ou suspendu dans un court délai par l’Assemblée nationale après un débat sur le bien fondé de l’entrée en guerre. Il est donc important d’amender l’article 101.

V-CONCERNANT LA COUR CONSTITUTIONNELLE
À ce titre, le Projet de Constitution du Président Alpha Condé apporte des clarifications sur sa structure, son fonctionnement et son rôle. Le pouvoir de la Cour Constitutionnelle a été renforcé :

1.    L’article 103 érige notamment la Cour Constitutionnelle comme l’organe régulateur du fonctionnement et des activités des pouvoirs législatifs et exécutifs; et
2.    De même, alors que l’exception d’inconstitutionnalité énoncé en l’article 106 arroge à la Cour Constitutionnelle le pouvoir de faire jurisprudence sur des dossiers de violation de droits fondamentaux et des libertés publiques, cependant, le mode de désignation de ses membres édicté aux articles 110 et 111 laisse encore de la place à des suspicions : en fait, je l’ai déjà mentionné plus haut, désormais le Président de la Cour Constitutionnelle est nommé unilatéralement par le Président de la République. Il serait mieux, étant donné l’importance accordée a cette institution en l’article 103, en addition de son rôle en tant que juge des contentieux électoraux, de soumettre cette nomination à l’approbation de l’Assemblée nationale; et
3.    Finalement, il est dit que le Président de l’Assemblée nationale peut désormais désigner 2 membres parmi les 9 que doivent compter la Cour Constitutionnelle. Je ne crois pas que ce pouvoir doit revenir au Président de l’Assemblée nationale qui devrait être suffisamment occupé avec une Assemblée nationale revigorée. Il est de loin préférable que ces deux membres soient plutôt désignés par le Haut Conseil des Collectivités Locales afin, encore une fois, de renforcer la légitimité et l’acceptabilité des institutions Étatiques (étant entendu que le Haut Conseil des Collectivités Locales soi composé d’un collège d’élus locaux).

En apportant de la transparence et de l’arbitrage dans le processus de désignation et de nomination des membres de la Cour Constitutionnelle, cette institution pourra à la fois contribuer efficacement au bon fonctionnement des institutions et à la stabilité politique.

VI-CONCERNANT LE POUVOIR JUDICIAIRE
À ce titre, le Projet de Constitution du Président Alpha Condé n’apporte pas suffisamment de garanties sur l’indépendance de la justice telle que proclamée en l’article 117 :

1.    En effet, non seulement l’article 119 cantonne le Conseil Supérieur de la Magistrature à un rôle consultatif concernant la gestion de la carrière des magistrats, mais de plus, la composition du Conseil Supérieur de la Magistrature n’est même pas abordé dans le texte. De même, les compétences du Conseil Supérieur de la Magistrature en matière d’élaboration du budget de la justice ne sont pas consacrées. 

Ainsi, en plus du fait que le Président de la Cour Suprême et celui de la Cour des Comptes sont nommés unilatéralement par le Président de la République, ceci représente une régression non négligeable qui éloignera encore plus le régime du Président Alpha Condé des aspirations légitimes à l’État de droit des populations. Des frustrations populaires peuvent dégénérer. 

VII-CONCERNANT LA HAUTE COUR DE JUSTICE
À ce titre, le Projet de Constitution du Président Alpha Condé apporte certes des clarifications sur la notion de « Haute trahison » susceptibles de conduire un Président de la République devant la Haute Cour de Justice, cependant, le deux poids deux mesures entre les gouvernants et les gouvernés face à la justice reste flagrant. En effet, l’article 128 martèle que même les membres du gouvernement ne sont justiciables que devant la Haute Cour de Justice. Ceci crée un fossé trop grand en matière de justice entre les gouvernés et les gouvernants. Il est compréhensible que le Président de la République soi jugé par la Haute Cour de Justice, mais le Premier ministre et les membres du gouvernement peuvent bien être jugés par les juridictions ordinaires comme n’importe quel citoyen. Ceci contribuerai encore une fois à légitimer les institutions aux yeux des populations et à renforcer l’autorité de l’État.

VIII-AUTRES
Dans le Projet de Constitution du Président Alpha Condé, certaines institutions hautement décriées pour leur inutilités ont malgré tout été maintenue. Il s’agit du Conseil Économique et Social qui devient le « Conseil Économique Social Environnemental et Culturel ». De même, le « Médiateur de la République » et « l’Institut National Indépendant des Droits Humains » restent maintenus. Toutes ces 3 institutions auraient bien pu disparaître sans aucun effet sur le bon fonctionnement de la République comme c’est le cas pour la Haute Autorité de la Communication. Ces trois institutions inutiles auraient pu être remplacé par des institutions utiles à la République, à savoir un « Organe anti-corruption indépendant » et une « seconde Chambre » au sein de l’Assemblée nationale. De même, nous aurions voulu voire une Constitutionnalisation de la mission de la Banque centrale, et une dépolitisation de la Commission Électorale Nationale Indépendante. Finalement, pour consacrer le partage du pouvoir, nous aurions voulu avoir des Gouverneurs de région désormais élus et non plus nommés par le Président de la République. Tout ceci représente des insuffisances notoires.

IX-CONCLUSION 
Le Projet de Constitution du Président Alpha Condé dessine le portrait d’une République à l’heure des enjeux de notre époque (protection de l’environnement, égalité des sexes, désobéissance aux ordres illégaux, panafricanisme affirmé). Ce Projet de Constitution dessine également un régime présidentiel fort qui permet une vie parlementaire beaucoup plus dynamique que par le passé. Cependant, le pouvoir sans partage du Président de la République en matière de nomination aux plus hautes fonctions de l’État, combiné avec l’asphyxie du pouvoir judiciaire et à la suppression des intangibilités sur la durée et le nombre de mandats présidentiels, menace ces nouveaux droits acquis et laisse craindre une continuation des abus de pouvoir au plus haut sommet de l’État. De même, ce Projet de Constitution, malgré une vie parlementaire dynamique, dessine un régime distant des populations à la base : Haute Cour de Justice pour les membres du gouvernement, absence d’État de droit, et rallongement du mandat présidentiel. Finalement, ce Projet de Constitution comporte en lui-même quelques insuffisances notoires : la lutte contre la corruption n’est pas réaffirmée, le partage du pouvoir est insuffisant, et des institutions budgétivores inutiles continueront de parasiter la République.

Au regard de ce portrait, il apparaît clairement un paradoxe difficilement tenable pour le régime : comment concilier une vie parlementaire dynamique avec un Président de la République ayant des pouvoirs abusifs? Il y aura forcément de l’instabilité gouvernementale lorsque le Parti Présidentiel n’a pas une large majorité à l’Assemblée nationale. La seule manière de garantir la stabilité gouvernementale avec un tel régime sera pour le Président de la République de sécuriser une large majorité parlementaire dans un contexte de défiance politique. Cela n’est possible que si les élections ne sont jamais transparentes. Des élections non transparentes replongeront le pays dans le cycle d’instabilité politique que nous connaissons ces 10 dernières années. Donc ces innovations sont insuffisantes pour garantir la stabilité politique dans le pays.

Finalement, la question à se poser est de savoir est-ce que les innovations annoncées dans ce Projet de Constitution sont suffisamment importantes pour nécessiter un Changement de Constitution par voie référendaire? Avec ce Projet de Constitution, nous restons toujours dans un régime présidentiel fort. Les nouveaux droits acquis et la dynamisation de la vie parlementaire ne permettront pas de sortir à moyen terme du cycle infernal d’instabilité politique. De ce fait, nous jugeons que ces innovations sont totalement insuffisantes pour nécessiter un changement de Constitution. Des amendements parlementaires peuvent suffire à apporter ces innovations sans toucher aux intangibilités de la Constitution de mai 2010. 

Au regard de tout ce qui précède, j’invite le Président Alpha Condé à revoir sa copie. En tant que tel, nous, au sein de la Ligue des Démocrates Réformistes de Guinée (LDRG), nous appellerons à voter « NON » dans l’éventualité d’un Référendum sur ce Projet de Constitution. De même, nous continuerons sans relâche notre lutte pour l’avènement d’une Nouvelle République moderne, juste, équitable et sans abus de pouvoir. Je rappelle que dans cette lutte nous avons produit : un Projet de Constitution qui consacre le partage effectif du pouvoir; nous avons participé à la Consultation nationale de Septembre 2019; nous avons organisé 9 campagnes annuelles pour réclamer une Nouvelle Constitution reflétant les aspirations démocratiques de notre génération; nous avons consenti 37 rudes journées jeûne et accompli 208 km de marche pénible pour l’avènement de cette Nouvelle République de nos aspirations; et nous avons récolté à ce jour 1556 vaillants signataires dans le cadre de la Pétition pour une Nouvelle République. C’est d'ailleurs le lieu pour moi ici d’inviter celles et ceux qui ne l’ont pas encore fait à joindre leur Signature à la Pétition pour la Nouvelle République en suivant ce lien : je Signe! Elle compte à ce jour 1556 vaillants signataires. Chaque signature compte! La lutte continue!

ENSEMBLE, TOUT DEVIENT POSSIBLE!

Mamadou Oury Diallo
Président de la LDRG

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