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Dans une récente interview, le Premier Ministre Ibrahim Kassory Fofana a indiqué que le budget de l’État perdait chaque mois 140 milliards de Francs Guinéens sur le carburant. Cette situation laisse naturellement poindre à l’horizon une éventuelle hausse du prix du carburant à la pompe en Guinée. Voici plus d’une décennie que les gouvernements successifs en Guinée se retrouvent dans ce dilemme permanent: maintenir ou augmenter le prix du carburant à la pompe? C’est un dilemme toujours difficile à trancher dans la mesure où une hausse aussi minime soit-elle du prix du carburant a un impact quasi-généralisé sur les prix de tous les biens de consommation dans un pays où 60% de la population vie en-dessous du seuil de pauvreté. L’impact social est quasi immédiat avec son corollaire de mécontentement social. Nous avons encore en mémoire la « crise du riz » de 2004 lorsque camions et magasins de riz ont été pillé par des populations ne parvenant plus à joindre les deux bouts. De même, depuis 2010, le régime actuel est confronté au même dilemme et nous avons assisté, non seulement à des manifestations contre la hausse du prix du carburant, mais aussi, à des scènes de pillage de camions de riz, notamment en 2014.

1-Premièrement, il est important de rappeler le contexte économique dans lequel nous vivons : à l’international, la crise sanitaire de la COVID-19 a non seulement considérablement mis à l’épreuve les budgets des différents pays, y compris les pays les plus riches de la planète (G20); mais de plus, l’économie internationale s’en est retrouvée profondément impactée. La croissance économique est devenue atone et peine encore à revenir à son niveau d’avant-crise. Au niveau local, la Guinée n’a naturellement pas été épargné par cette crise. Des secteurs entiers de l’économie guinéenne se sont effondrés, notamment l’hôtellerie; et d’autres secteurs sont fortement impactés, notamment le commerce. De plus, au cours des 12 derniers mois, en dépit de l’assistance internationale, le budget de l’État a tout de même été mis à profit pour soutenir les populations, notamment avec les mesures de subvention pour l’électricité, et celles pour venir en aide au secteur privé. Donc, au moment où nous en parlons aujourd’hui, effectivement, et objectivement, il est facile de reconnaître que le budget de l’État en Guinée est extrêmement serré avec peu de marges de manœuvre.

2-Deuxièmement, selon toute vraisemblance, les mesures entreprises depuis 2010 n’ont pas suffit pour résoudre structurellement la question « subvention des hydrocarbures – hausse du prix du carburant » : est-ce qu’il faut en déduire une incapacité ou un échec des dirigeants du pays sur cette question? Je ne sais pas répondre à cette question. Mais il est évident que le problème persiste et il risque de persister aussi longtemps que des mesures conjoncturelles et des mesures à moyen terme appropriées ne seront pas prises pour y faire face :

A-CONCERNANT LES MESURES CONJONCTURELLES : le Premier Ministre déclare que les pertes s’élèvent à 140 milliards de Francs Guinéens par mois sur le carburant, soit 14 millions de dollars par mois. Ainsi, toutes choses égales par ailleurs, afin de maintenir les prix du carburant à la pompe tels qu’ils sont aujourd’hui, le Gouvernement doit trouver ailleurs 14 millions de dollars par mois le temps que le prix du baril à l’international soit favorable et que les mesures à long terme portent fruits.

Trouver ailleurs les 140 milliards de Franc Guinéens : Il est de la marque d’un Gouvernement responsable et courageux que de commencer à réduire ses propres dépenses avant de demander des sacrifices additionnelles à des populations vivant déjà dans l’extrême pauvreté. La première analyse qui s’impose à nous pour trouver ces 14 millions de dollars est donc celle du Budget de l’État car c’est le budget de l’État qui est le reflet des décisions et des priorités d’un Gouvernement : 

•    En survolant le Budget de l’année 2021 de l’État Guinéen, la première impression qui s’impose à moi est que la plupart des ministères, y compris la Primature, ont fait des efforts de réduction de leurs dépenses. Ceci est une bonne action à mettre au crédit des dirigeants du pays. Cependant, la deuxième impression frappante est que les ministères les plus en avant pour garantir les prix du carburant et des denrées de premières nécessités connaissent une baisse considérable : le ministère de l’Agriculture, qui est censé être l’une des solutions contre la hausse des prix des denrées de premières nécessités, baisse de 60% (il se situe aujourd’hui à 29 millions de dollars alors que l’année dernière il était de 73 millions de dollars); le Ministère de l’Énergie qui est justement confronté à cette problématique voit son budget baisser de 54% (il se situe aujourd’hui à 253 millions de dollars alors que l’année dernière il était de 552 millions de dollars); et même le Ministère de la Santé voit son budget baisser de 29% malgré les crises sanitaires d’Ébola et de la COVID-19 (il se situe aujourd’hui à 199 millions de dollars alors que l’année dernière il était de 280 millions de dollars).

•    Cette baisse considérable du budget de ces trois ministères précédemment cités aurait été à la rigueur acceptable dans le contexte actuel si d’autres ministères n’avaient pas connu une hausse considérable et inexpliquée de leur budget, notamment : le budget de la Défense Nationale augmente de 21% alors que nous ne sommes pas en guerre (il se situe aujourd’hui a 243 millions de dollars alors que l’année dernière il était de 201 millions de dollars); celui du Ministère de la Sécurité augmente de 11% (il se situe aujourd’hui à 39 millions de dollars alors que l’année dernière il était de 35 millions de dollars); et celui du Ministère de l’Administration du Territoire augmente de 128% malgré que les élections sont derrières nous (il se situe aujourd’hui à 112 millions de dollars alors que l’année dernière il était de 49 millions de dollars).

De cette première analyse, il ressort donc une totale incohérence budgétaire que le Gouvernement doit expliquer à la nation : vous avez une perte de 14 millions de dollars par mois sur le carburant; vous baisser des budgets aussi importants que ceux de l’Agriculture, de l’Énergie et de la Santé; et, malgré tout, vous augmentez de manière fantaisiste les budgets de la Défense, de la Sécurité et de l’Administration du territoire. Quelle est la cohérence? L’augmentation des budgets de la Défense, de la Sécurité et de l’Administration du territoire représentent 109 millions de dollars. Ces 109 millions de dollars peuvent combler durant 8 mois le trou de 14 millions de dollars par mois du carburant. Et si additionnellement le prix du baril baisse d’ici la fin de l’année, ces 109 millions de dollars suffiraient à combler le trou de 14 millions de dollars par mois durant toute l’année. De même, en demandant aux budgets  de la Défense, de la Sécurité et de l’Administration du territoire à suivre l’exemple de la Primature en réduisant leur budget respectif, la question du trou de 14 millions de dollars par mois pour le carburant ne se posera même plus.

Ainsi, sur le plan conjoncturel, c’est un faux débat qui est soulevé par le Gouvernement. Malgré le contexte actuel, la Guinée a bien les capacités de maintenir le prix du carburant à la pompe a son niveau actuel si le budget des ministères de la Défense, de la Sécurité et de l’Administration du territoire n’augmentent pas. La question est de savoir si le Gouvernement a le courage de demander à l’armée, la gendarmerie et la police de se serrer la ceinture. Cela ne semble pas être le cas. Et il est donc évident que, en tant que Président de la LDRG, non seulement je ne soutiendrai aucune augmentation de prix du carburant à la pompe, mais de plus, j’initierai des campagnes de contestation pour dénoncer et empêcher toute augmentation du prix du carburant à la pompe en Guinée.

B-CONCERNANT LES MESURES À MOYEN ET LONG TERME : ce dilemme persistant de la subvention des hydrocarbures révèle aussi la question persistante du type d’économie que nous avons en Guinée. Comme plusieurs pays africains, l’économie guinéenne est fortement carbonée et dépendante des « fusel oil ». Non seulement cette réalité est au détriment de la santé des populations, mais de plus, elle est au détriment de la nature et de l’environnement qui sont indispensables pour la durabilité du bien-être de notre nation. Si une véritable transformation de l’économie guinéenne avait été enclenché au cours des dix dernières années, nous n’en serions certainement pas aujourd’hui à ce niveau de dépendance aux « fusel oil ». C’est donc le lieu pour moi de rappeler que ça fait plusieurs mois que je travaille déjà sur le « Projet d’une économie décarbonée » pour la Guinée. Dans un court délai, il me fera donc plaisir de partager avec vous ma « Vision » d’une économie de croissance verte pour la Guinée.

C-En conclusion : Le Premier ministre annonce que le budget de l’État connaît une perte de 14 millions de dollars par mois sur le carburant. Une brève analyse du budget 2021 de l’État Guinéen démontre portant que, malgré le contexte difficile dans lequel évolue notre économie, si les budgets de la Défense, de la Sécurité et de l’Administration du Territoire n’augmentent pas, il y a 109 millions de dollars qui se dégageront. Ce montant de 109 millions de dollars sera suffisant pour couvrir le trou de 14 millions provoqué par les subventions aux hydrocarbures. Cette question de perte de 14 millions par mois est donc un faux débat pour tout Gouvernement responsable et assez courageux pour regarder l’armée guinéenne dans les yeux et lui dire « il est temps pour toute la nation de serrer la ceinture ». Finalement, le dilemme persistant de la subvention des hydrocarbures révèlent une forte dépendance de notre économie aux « fusel oil ». Non seulement cette réalité est au détriment de la santé des populations, mais de plus, elle est au détriment de la nature et de l’environnement qui sont indispensables pour la durabilité du bien-être de notre nation. Si une véritable transformation de l’économie guinéenne avait été enclenché au cours des dix dernières années, nous n’en serions certainement pas aujourd’hui à ce niveau de dépendance aux « fusel oil ».

Mamadou Oury Diallo
Président de la LDRG

Tag(s) : #Economie-Guinée, #Guinée, #Africa, #Afrique, #Afrique de l'Ouest