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L’histoire a fait le tour du monde : le 30 novembre 1974, à Hadar, dans la basse vallée de l’Awash, en Éthiopie, l’équipe internationale de chercheurs co-dirigée par Yves Coppens découvre un fossile d’Australopithèque complet à 40%. 

Arboricole et bipède, ses 3,2 millions d’années en font le plus ancien fossile jamais découvert à l’époque. En hommage à la célèbre chanson des Beatles, qui rythme les recherches de l’équipe, il est surnommé Lucy. Mieux que AL-288, son premier nom. Films, livres, émissions s'emparent de la découverte, et Lucy et son découvreur deviennent célèbres. 

Mais la carrière d’Yves Coppens ne commence ni ne s’arrête à cette découverte fondamentale pour la paléontologie. Elle se mesure en kilos, voire même en tonnes de fossiles exhumés, qu'ils soient ceux de mammouths ou d'hominidés. 

De la Bretagne à l’Éthiopie, en passant par la Sibérie 
Né à Vannes en 1934, ce fils de professeur de physique nucléaire et de pianiste s’intéresse très tôt aux mystères de la Préhistoire et de l’archéologie. La proximité du site archéologique de Carnac, où s’exposent, rangées après rangées, menhirs et mégalithes, fascine le jeune Breton. 

À 10 ans à peine, juste après la guerre, il intègre une société savante d’archéologie, et entame ce qui restera la passion de sa vie : fouilles et prospections. Il le dira lui-même, dans un ouvrage paru en 2020, Le Savant, le Fossile et le Prince, du labo aux palais : « On peut dire que mon parcours est une enfance prolongée, qui n’a pas été contrariée. »

Un parcours fluide et rapide, qui coche toutes les étapes du cursus honorum de la recherche scientifique française. Après un baccalauréat en sciences expérimentales à Vannes et une licence en sciences naturelles à l’Université de Rennes, suivie d’un doctorat à la Sorbonne, il entre à 22 ans au CNRS comme attaché de recherche. Aucune gloire dans ce parcours sans faute, tempère-t-il avec humour : à l’époque, « le CNRS recrutait ». 

Au Muséum national d’Histoire naturelle, le paléontologue René Lavocat le charge en 1959 de déterminer des dents de probosciens, les éléphants préhistoriques sur lesquels porte sa thèse. Elles sont issues de fossiles découverts par des géologues en Afrique. Le jeune Coppens mord à l'hameçon de qu'il appellera son « exotite  », et les rejoint sur place dès janvier 1960.  

Dans une Afrique en pleine lutte d’indépendance, il monte des expéditions et fouille les sols de différents pays. Tchad, Éthiopie, Afrique du Sud, Algérie, Tunisie, Mauritanie,  Indonésie, Philippines, Mongolie Sibérie… Ces voyages le poussent à s’intéresser aux hominidés, nos si anciens « parents », et à s'écarter pour un temps des éléphants.  

Un « savant dans la cité »  

Si Lucy est la plus célèbre, le chercheur date sa plus grande découverte de 1975, lorsqu’il associe changement environnemental et naissance des hommes. Curieux infatigable, il élabore des théories tout au long de sa carrière, quitte à parfois se tromper et reconnaître ses erreurs. Il admet ainsi en 2014 que l’Homo Sapiens est bel et bien sorti d’Afrique il y a environ 100 000 ans, et qu’il n'est pas né « un peu partout ailleurs ».  

Des recherches ambitieuses et des réussites académiques en pagaille - il est membre de 11 académies, dont la prestigieuse Académie des sciences - qui ne le coupent pas du monde et de son actualité pour autant. Yves Coppens apprécie la figure du « savant dans la cité », et préside ainsi en 2002, à la demande de Jacques Chirac, la commission préparatoire à la Charte de l’environnement, qui servira de base au Grenelle et à la COP21. 

Espiègle, il offrira à ce président avec qui il s’entend bien, tout en « maintenant une certaine distance », une touffe de poils de mammouth, vieille de 20 000 ans. 

Vulgarisateur infatigable
C’est aussi un chercheur qui aime transmettre, au-delà des bancs du Musée de l’Homme, dont il est nommé directeur en 1980, ou de ceux du Collège de France, où il anime la chaire de paléo-anthropologie à partir de 1983. 

Coppens tire de ses recherches sur la Préhistoire des leçons pour le présent. Des quelque 600 chroniques radio qu’il réalise pour France Info, il fait trois livres à destination du grand public, intitulés « Le présent du passé ». « J’aime beaucoup me maintenir dans l’actualité, expliquait-il depuis le Salon du Livre de Paris en 2014, entouré de ses ouvrages affichant différents profils d’Australopithèques. J’aime m’insérer dans une perspective bien plus large, pour que le public puisse saisir l’intérêt [de mes recherches] et leurs limites. »  

Un goût de la vulgarisation et du partage, que ce passeur de science cultive de multiples façons. « J’aime les gens », affirme-t-il ainsi à de nombreuses reprises. « Je respecte l’humanité, je respecte les humains, et je suis respectueux de toutes les croyances… ».  

Humaniste et optimiste 
En bon paléontologue, cette humanité, il l'affirme unique et à l’origine commune : « Il n’existe pas de personnes blanches, seulement décolorées ! », s’amusait-il à répéter. « Nous venons tous d’une même espèce, née dans les forêts africaines tropicales… ». L’humain incarne ainsi avant tout pour lui « l’état le plus compliqué de la matière » connu à ce jour. 

Une ouverture au monde sous le signe de la science, qui le pousse à rester optimiste, même confronté à la perspective du changement climatique. « L’avenir a inquiété tout le monde depuis toujours », relativisait ainsi celui qui se prononçait contre la crémation, pour ne pas « détruire l’outil de travail des futurs paléontologues ». Il a d'ailleurs promis de léguer son squelette au Musée de l'Homme.  

Coppens exprime encore son goût de la vie et de la recherche dans le message qu’il laisse aux générations futures : « N’ayez pas peur de l’avenir. Demain sera formidable ! Vivez vos passions. Soyez raisonnés, mais surtout pas raisonnables. Et si vous voulez faire de la recherche, si vous voulez une vie heureuse, allez-y, cela vous comblera. » 

Source: https://www.rfi.fr/fr/culture/20220622-mort-du-pal%C3%A9ontologue-fran%C3%A7ais-yves-coppens

Tag(s) : #Science et Développement, #International