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Mr Doré,

Parlons donc du réel! Parlons-en franchement comme dans dialogue franc et apaisé.

Moussa n'est pas Moise le prophète. C'est juste le jeune Moussa vous souvenez-vous ? Celui-là même qui festoyait encore quand vous chercher à démystifier les enjeux internationaux. Celui-là même qui commençait son service militaire lorsque vous reveniez au pays après 25 années de carrière internationale au service de la nation.

Moussa n'est pas votre père, c'est ce fils qui vous écoutait parler d'indépendance, de liberté et de démocratie alors qui ne comprenait pas encore l'essence de ces termes. Il sortait de l'école quand vous fondiez un parti avec comme objectif de diriger la nation. Alors qu'il se posait encore beaucoup de questions sur la vie, l'avenir et son futur, vous aviez pratiquement toutes les réponses. Pendant qu'il était encore désorienté, vous étiez prêt à lui montré le nord. Que s'est il passé entre-temps pour qu'il devienne le seul guide habilité à vous orienter?

Mais qui suis-je donc ? Dites à mes frères et sœurs que je ne suis pas un guinéen de l'étranger.

J'étais guinéen avant d'arriver à l'étranger. Rappelez leur nos compétions de nage durant lesquelles nous bravions les mêmes vagues à Sékoutéraya essayant tant bien que mal de rejoindre la ligne rocheuse qui délimitait le port de Conakry, à mis chemin vers kassa.

Avec eux je bloquais les rues de Kaloum pour notre jeu de salon de 16 heures. Je ne suis pas que ce jeune qui roule en Mercedes et Infiniti lorsque je reviens en vacances au pays, j`ai aussi marché les mêmes kilomètres qui séparait un village de l'autre où nous allions faire nos matchs de foot.

J'étais avec eux à Fria et kamsar, j'étais de la partie à Coyah et Tamarassi. J'étais aux spectacles du palais et du cinéma liberté. J'ai dansé au Gbassikolo devenu Futura et mangé chez Sylvie J'ai participé au tournoi de basketball à Boké, J'ai bravé les, moustiques de la cité des nations et de l'aéroport pour préparer le Baccalauréat, parfois pour draguer, c'est vrai. Ma peau cirée par le climat Nordique en garde encore les traces, il suffit d'y regarder de près. Veulent-ils seulement m'approcher? J'ai inhalé les gaz lacrymogènes et survécu aux balles perdues lors des grèves.
M'ont-ils oublié parce que je n'étais pas au pont 8 Novembre avec eux ?

Alors dites que je suis cet autre fils auquel vous aviez demandé d'apprendre tout ce qu'il faut à l'étranger afin de revenir aider la famille. Celui qui appelle régulièrement pour donner le numéro de transfert Western Union ou la date d'arrivée du colis qui leur est destiné.

Que je suis cet ingénieur qui veut revenir bâtir des ponts et chaussées. Cet autre qui sait comment faire un avion et le piloter.

Je suis ce footballeur qui renonce à ses primes de match et son luxe occidental pour se faire huer au stade du 28 Septembre.

Je suis ce maitre de conférence qui ne veut que s'exprimer devant mes frères et sœurs qui m'encourageaient autrefois et voyaient en moi un grand orateur en devenir.

Que je suis cet artiste qui, autrefois, faisait la fierté de la Guinée au sein des ballets et désormais fait celle d'Ottawa au nom du multiculturalisme si cher aux Canadiens.

Ce médecin qui sait comment prévenir et guérir les maladies du cœur et qui souhaite vous éviter de parcourir de longues distances vers Paris ou La Havane pour traiter un infarctus cardiaque.

Dites leur, qu'au téléphone, ils peuvent aussi me demander comment je vais, avant de raccrocher, préférablement avant de demander le mot de passe, n'est-ce pas moi qui paie pour l'appel?

Que je suis celui qui vous accueille régulièrement avec toute ma fierté guinéenne et qui s'inquiète beaucoup pour le pays et ceux qui son encore là-bas.

Dites leur que pour moi aussi, la Guinée est cette jeune fille que l'on aime tant et avec qui l'on souhaite finir ces jours. C'est cet amour pour lequel le chevalier renoncera à tout le bonheur, fût-il le royaume entier qui lui est offert par la terre d'accueil.

Que je suis cet aventurier d'autrefois qui ramenait la joie et le bonheur au village ainsi que de nouvelles connaissances acquises ici et là durant les longues années d'exil. Celui-là n'était pas un code de transfert d'argent.

Je suis .... Si seulement il voulait savoir! Mais surtout, dites leur que je ne suis pas un étranger. Même si je parle beaucoup.

Je parle beaucoup car j'ai tant à leur dire. Jai hâte de leur démontrer, le moment venu, que nous pourrons avoir nos gratte-ciel à nous. Et, Comme à Las-Vegas, nous pourrons avoir notre réplique de la Tour Eiffel. Je veux leur parler de l'occident comme cette terre qu'il serait bon de visiter en tant que touriste pour revenir vite au bercail, sans tracasseries pour un visa, sans avoir à vendre la maison pour le billet d'avion. Je veux leur dire comment tout ceci est possible.

Et même si je ne sais qu'écrire, dites leur que nous avons eu le Renaudot, pourquoi pas le Goncourt made in Guinea. Si seulement ils acceptaient de lire et écrire, moi je ne me gênerai pas de les applaudir lorsqu' ils seront sur les podiums et sous les feux des projecteurs.

Ou alors, dites leur que je suis cet étranger toujours à l'affût des dernières nouvelles du pays sur le net Guinéen. Celui qui fouille incessamment Amazon.com à la recherche du dernier livre, écrit pas un compatriote, qui cherche encore des livres de contes et légendes du pays afin que mes enfants puissent s'abreuver à la même source qui a nourrit ma différence et mon exotisme par rapport au reste des Québécois.
 
Suis-je pressé? Oh oui je suis pressé! Mais ceci vous le saviez déjà n'est-ce pas ?

Vous l'avez su lorsque je m'en suis allé braver le désert, les océans et les mers à la recherche du bonheur aussi inconnu que les horizons vers lesquels je me destinais. Vous l'avez su lorsque je me suis infiltré dans des bateaux étrangers, lorsque j'ai risqué ma vie dans les trains d'atterrissage des avions.

Non, c'est vrai vous m'aviez accompagné à l'aéroport, l'autre c'était le moins chanceux de vos enfants. Mais suis-je plus chanceux que lui ?

Mes nuits sont faites d'insomnie et d'incertitude, mes journées de remords, de regrets... de nostalgie. C'est en Guinée que j'ai appris qu'en occident le temps c'est de l'argent et que 24 heures sont insuffisantes pour une journée, une vie. Imaginez donc que je dois mener deux vies toutes les 24 heures, une comme Guinéen de l'étranger et l'autre comme Guinéen tout court. Assumant mes responsabilités dues à la terre d'accueil et celles à la terre d'origine.

Pendant que j'écris ces lignes, j'écoute Yelema Yelemaso du grand Bembeya Jazz, où l'on cite des gloires de la musique (guinéenne, africaine en général), bon nombre de ces artistes me sont inconnus mais je réalise qu'à mon retour Elhadj Dyéli Sory kouyaté ne sera plus là, que Fodé Conté le grand chansonnier ne produira plus d'autres œuvres comme lui seul savait le faire... tant de disparus !

J'aurai souhaité être là avant la mort du vieux Naby Soumah afin qu'il puisse encore une fois dire à mon père : Yallo n`na fallanè ibè , dji diidi sigadé ma kouya.

Ces hommes qui parvenaient à me rappeler que le rio Pongo et le fleuve Niger ne sont pas fruits de mon imagination ou alors tiré des récits à la René Caillé. Leurs œuvres me rappellent que ce qui coule dans mes veines est bien réel. Que cette Guinée dont le nom résonne au plus profond de mon être n'est pas qu'une image sur Google Maps. Paix à leurs âmes.

Ma tristesse est encore plus profonde lorsque j'imagine qu'il n' ya pratiquement pas de relève.
Oh oui que je suis pressé, cela fait cinquante ans que j'attends ce bateau puis cet avion pour me ramener chez-moi. Que des promesses ! Mes souvenirs se flouent, je ne sais plus si le pont de lianes est réel, si la dame de Mali n'est qu'une peinture. Lorsque j'y suis allé finalement, par mes propres moyens, je fus rejeté par mes frères tel un colon. Celui-là même que j'ai combattu par mes écrits et mes prises de position, chez lui, au nom de la solidarité avec mes frères au pays.
Dieu que je veux retourner chez moi!

Mais le message le plus important que je souhaiterai que vous transmettiez est le suivant :
Mr Doré, au nom de tous les enfants de notre mère Guinée, dites à Moussa, mon frère Moussa, pas le guide, ni le père de la nation, encore moins le prophète, votre fils Moussa, celui que vous avez vu grandir. Celui qui n'était pas encore né (ou alors à peine) quand vous deveniez une personnalité guinéenne.

Dites lui que vous étiez là lorsque les mots travail, justice et solidarité furent prononcés, pour la première fois ensemble, comme notre devise.
 
Mais parlons d'abord de la politique; Dites lui qu'au nom de la politique, votre camarade d'enfance ainsi que votre ainé, ceux qui représentent la majorité écrasante du peuple (et non ceux des forces dites vives), n'ont pas eu la même chance que vous : ils n'ont jamais eu un travail décent.
Qu'au nom de la politique, les geôles de la honte ont été les dernières demeures de bon nombre de vos compagnons et certains de vos enfants sont tombés sous les balles au pont 8 novembre, entre autres. Justice n'a jamais été rendue.

Qu'au nom de la politique, certains de nos compatriotes ont été dépossédés de leurs terres et de leurs demeures, d'autres furent poussés à l'exil. Ces derniers lorsqu'ils ne sont pas renvoyés tels des malpropres, sont accueillis par des étrangers auxquels ils doivent désormais tout ce que la patrie leur a refusé. Solidarité devint étrangère.

Mr Doré, La politique c'est aussi des occasions manquées ou saisies. Nelson Mandela en a manqué beaucoup, mal gré lui, mais a saisi celles qui importaient. Je ne peux rien vous apprendre!
Dites donc à Moussa, mon frère, votre fils, que vous étiez là au début et à la fin de travail- Justice-Solidarité.

Dites-lui que vous souhaitez que vos enfants voient trio prendre forme. Qu'au même titre que mon cousin à Yembering et mon ami à Lola, j'ai aussi ma part dans le compte logé à la banque centrale.
Dites lui de libérer la parcelle de terre afin que notre voisin l'architecte puisse finaliser le plan, que le maçon fasse la fondation et les murs, que le menuisier et le soudeur puissent faire les portes le toit et les fenêtres, que le plombier se charge de l'adduction d'eau et l'électricien du courant.
Vous savez qu'il n'est ni l'un ni l'autre, son métier est de veiller à la sécurité des biens et des personnes.

Puis, assurer une bonne nuit de sommeil aux futurs occupants que nous sommes tous.
Mais si au nom de la paix, votre paix, vous ne parvenez à le lui faire comprendre alors laisser lui une note dans laquelle vous lui direz :

Qu'il aura mis en péril cette paix qui vous est si chère.
Qu'il s'expliquera avec ces frères et sœurs qui auront survécu aux balles.

Que ceux qui sont à l'extérieur reviendront avec d'autres moyens et compétences que ceux espérés.

Même si, pour l' instant nous allons encore importuner ceux qui nous ont accueillis et continuent à nous garantir nos droits et libertés, dont celle d'expression. Nous les avons dérangés à Bruxelles le 26 juin dernier. Ce sera le tour de Paris de nous supporter le 11 juillet prochain, et puis.... et puis.

Dites lui, de ne pas sous-estimez la volonté qui a bravé les mers, déserts et surtout les services d'immigration occidentaux. Puis, dans votre testament, notez qu'au nom de la paix et de la politique, dans l'art de gérer le réel, vous avez été piètre manager. Vous aurez échoué ici bas. Puisse Dieu vous pardonner.

PS : Cette lettre vous est adressée en tant que porte parole des forces vives, l'un des anciens qui ont été témoins de tout notre parcours. Elle est destinée à tous ceux de votre génération et de votre gabarit.

Par Boubacar Barros Diallo -au nom de toute la famille (enfin je crois, le plancher est libre de toutes les façons)- Barrosdiallo@hotmail.com

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