Le capitaine Moussa Dadis Camara est déterminé à démanteler les cartels de la drogue qui sévissent dans le pays. Mais le chef de la junte guinéenne a-t-il fait arrêter les vrais
coupables ? Le journaliste français Alain Chabod est allé enquêter sur place avec une caméra. Ses images sont diffusées ce jeudi sur France 24. Il raconte son reportage à
RFI.
Radio France Internationale : Lors d’un reportage à Conakry, vous avez enquêté sur la lutte anti-drogue que mène la junte et notamment sur les quelque cinquante personnalités
civiles et militaires qui sont en prison depuis plusieurs mois. Quels sont les faits précis qui leur sont reprochés ?
Alain Chabot : L’incrimination qui revient le plus fréquemment est celle de complicité de trafic de drogue. L’Afrique de l‘ouest est devenue au fil des années effectivement une
plaque tournante entre l’Amérique Latine et l’Europe. La cinquantaine de personnes dont vous parlez sont d’anciens militaires, policiers, magistrats ou hauts fonctionnaires qui auraient été
impliqués, dans le cadre de leur fonction, dans une espèce de protection des réseaux dirigés par des Latino-Américains, notamment Colombiens, qui ont depuis quitté le pays.
RFI : Parmi ces trafiquants présumés qui végètent en prison, il y a deux fils de l’ancien président Lansana Conté, d’abord le capitaine Ousmane Conté. Il y a six mois, il a
fait des aveux télévisés : « oui, j’ai touché à ce trafic de stupéfiants, mais je ne suis pas un parrain », a-t-il dit. Et puis Moussa Conté, un homme d’affaires et je crois que vous l’avez
rencontré ?
A.C. : Tout à fait, c’était au mois d’août et le ministre chargé de la lutte anti-drogue, le commandant Moussa Tiégboro Camara, m’avait effectivement ouvert les portes de son
ministère et dans le cadre de ce tournage, un gendarme m’a dit : « Ecoutez, il y a un des fils de Lansana Conté qui est en garde à vue actuellement dans le bâtiment ». Donc je me suis rendu
discrètement avec ma caméra. Je l’ai filmé en compagnie du ministre Tiégboro Camara.
RFI : Images que l’on pourra voir aujourd’hui sur France 24. Moussa Conté est actionnaire dans une société à capitaux sud-africains qui fabrique officiellement du
biocarburant à base d’huile de palme. Et si j’ai bien compris, la junte soupçonnerait cette entreprise d’être en réalité un laboratoire clandestin ?
A.C. : Effectivement, des découvertes ont été faites au cœur du mois de juillet sur place à Conakry par les hommes du ministre chargé de la lutte anti-drogue, qui sont des
gendarmes dans leur majorité et qui ont mis en évidence, dans plusieurs sites dans la capitale à Conakry (six sites exactement), des stocks très importants de produits chimiques que la junte
soupçonne d’être des précurseurs, c’est-à-dire des éléments qui interviennent dans la fabrication et le raffinage soit de cocaïne, soit d’héroïne, soit de drogues de synthèse comme l’ecstasy. Et
dans un deuxième temps, il y a eu une deuxième série de découvertes à l’intérieur du pays sur les terres de l’ancien président Lansana Conté, donc les terres actuellement de la famille Conté. Et
sur ces terres, il y a à la fois une usine qui fabrique de l’huile de palme et également du biocarburant à partir des plantations détenues par la famille Conté. Il y a également un hangar. Et
dans ces deux sites, les gendarmes ont mis en évidence également des stocks très importants de produits chimiques.
RFI : Est-ce que ces produits chimiques sont la preuve que cette société fabriquait de la drogue ou pas ?
A.C. : C’est toute la question qui se pose parce que lors de discussions informelles que j’ai eu avec des policiers français qui se sont rendus sur place, ils m’ont déclaré
qu’ils étaient extrêmement prudents vis-à-vis des activités de cette société de biocarburants. Et pour eux, elle ne semble pas pouvoir être liée directement en tout cas à un quelconque trafic de
stupéfiants ou à un maillon de fabrication de drogues.
RFI : Trois dirigeants de cette société de biocarburants ont été arrêtés : un franco-congolais, un franco-guinéen et un américano-guinéen. Est-ce que les ambassades de France
et des Etats-Unis à Conakry s’occupent de leur cas ?
A.C. : L’ambassade des Etats-Unis, je l’ignore. En ce qui concerne l’ambassade de France, j’étais en contact sur place avec l’épouse d’un des trois directeurs qui sont
actuellement détenus avec Moussa Conté. Cette épouse m’a affirmé que le consul de France était venu s’entretenir avec les binationaux français.
RFI : Aujourd’hui, ces quelque cinquante prisonniers attendent un procès mais ils ne voient rien venir. Quelles sont leurs conditions de détention ?
A.C. : Il y a deux lieux de détention : la prison centrale de Conakry pour une majorité d’entre eux et il y a le PM3 qui est un camp qui est géré par la gendarmerie. En ce qui
concerne la prison de Conakry, là il y a des avocats qui y ont accès. En ce qui concerne le PM3, là il est plus difficile d’avoir des informations puisque les gens qui y sont détenus, notamment
Moussa Conté et les trois directeurs de l’entreprise de biocarburants, là les avocats n’ont pas accès à ses détenus.
RFI : Un camp PM3 qui est un camp de triste mémoire pour tous ceux qui ont connu l’époque Sékou Touré. Est-ce qu’au final, Alain Chabot, vous sentez que cette opération
anti-drogue est authentique et sincère ou est-ce que c’est un coup politique de la junte et de Moussa Dadis Camara avant la future présidentielle ?
A.C. : Lors de l’accession au pouvoir de la junte, il est clair que le combat contre la drogue et la corruption a été très tôt formulé comme étant le combat numéro un des membres
du CNDD, donc de la junte. Par la suite, on peut se poser effectivement un certain nombre de questions, notamment sur l’affaire liée à Moussa Conté (l’affaire de cette société de biocarburants).
Maintenant, ce qui va être intéressant, c’est de suivre les procès quand ces procès auront lieu. Alors est-ce que ça aura lieu avant l’élection présidentielle qui est programmée pour le mois de
janvier ? Là certains observateurs estiment que oui parce que la junte aura l’occasion peut-être de se refaire une virginité qu’elle a quelque peu perdue au cours des dernières semaines,
notamment sur le terrain politique. En tout cas, est-ce que les libertés individuelles sont respectées ? Est-ce que les conditions judiciaires sont légales ? Là effectivement, il va falloir
attendre que ces affaires arrivent devant les tribunaux pour se faire une idée précise.
Source: http://www.rfi.fr/actufr/articles/117/article_84976.asp