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Les étages supérieurs du "PM3" émergent au-dessus du mur d'enceinte de la caserne de la gendarmerie d'apparence anodine en plein coeur de Conakry. "C'est dans les sous-sols que ça se passe. La nuit, il n'est pas rare d'entendre des pleurs, des cris", nous confie un voisin du PM3, un centre de détention extrajudiciaire. De la fenêtre, on assiste au ballet des hommes en treillis et des 4 x 4 couvrant le bruit des vagues de l'océan qui viennent mourir sur les plages jonchées d'ordures de la corniche sud de cette capitale-presqu'île.

Mouktar Diallo, 58 ans, membre de l'Observatoire national des droits de l'homme (ONDH), arrêté fin novembre, a sans doute échappé aux sinistres sous-sols du PM3. Mais cet homme souffrant de diabète et d'hypertension croupit depuis la mi-décembre dans une cellule, sans inculpation, ni avocat.

"Le PM3, rappelle Mamadou Aliou Barry, président de l'ONDH, était l'antichambre du camp Boiro", où périrent dans des conditions terribles des dizaines de milliers de personnes durant la dictature d'Ahmed Sékou Touré (1958-1984).

Le camp Boiro n'est plus, depuis longtemps, un centre de détention. Lansana Conté (1984-2008) puis le capitaine Moussa Dadis Camara, chef de la junte au pouvoir depuis le 23 décembre 2008, s'attachèrent à effacer toutes les traces rappelant ce passé sanglant, quitte à priver le pays d'un lieu de mémoire. "Tout a été rasé, nettoyé", regrette le professeur Faudé Marega, président de l'association des familles victimes du camp Boiro. Le camp est aujourd'hui en grands travaux, comme tant de casernes depuis l'arrivée de Dadis Camara qui entendait choyer les militaires, centre de gravité du pouvoir guinéen. La blancheur des murs tranche avec la pauvreté des bicoques environnantes dans ce Conakry mité par les bidonvilles.

Les temps ont changé depuis Sékou Touré et Lansana Conté. On n'y torture plus avec la même vigueur. Mais l'arbitraire est toujours la règle, et le PM3, tout comme le centre de détention et d'interrogatoire des "32 marches" du camp Alpha Yaya Diallo, poursuivent leurs sinistres activités.

Depuis la tuerie d'au moins 1 56 opposants, le 28 septembre à Conakry, par des hommes de la garde présidentielle, puis après la tentative d'assassinat contre le capitaine Dadis, le 3 décembre, par son aide de camp Aboubakar Sidiki Diakité dit "Toumba", des dizaines de personnes sont passées, ou croupissent toujours dans ces lieux, loin des yeux. "Aucune des personnes détenues depuis les violences du 28 septembre, y compris Mouktar Diallo, n'a été traduite devant un juge pour des accusations formelles", dénonçait récemment l'organisation non gouvernementale Human Rights Watch (HRW).

C'est aussi le cas des personnes tombées en 2009 dans le cadre de la lutte contre les narcotrafiquants ou la corruption. Mouktar Diallo, lui, a été arrêté le 26 novembre à Conakry par des hommes de l'unité d'élite de la gendarmerie chargée de la lutte contre la grande criminalité et le trafic de drogue dirigée par le capitaine (et ministre) Moussa Tiégboro Camara. "Il a été interpellé sur ordre direct de Tiégboro, envoyé aux "32 marches" et enfin au PM3", affirme Mamadou Aliou Barry. Le directeur du PM3 nie la présence de Mouktar Diallo dans ses murs, où il y a pourtant été brièvement visité par sa famille ses derniers jours.

Le tort de Mouktar Diallo ? Son cursus professionnel et ses accointances avec certains militaires à un moment où Dadis "voyait des complots partout, ourdis par la France et les Etats-Unis", avance M. Barry. Mouktar Diallo fut, durant de longues années, employé à l'ambassade des Etats-Unis de Conakry, où il tissa des liens avec les militaires envoyés se former en Amérique.

Peu de temps avant son arrestation, il avait rencontré Aboubakar Sidiki Camara, dit "Idi Amin", ancien chef d'état-major de la gendarmerie respecté par les siens. Dadis s'appliqua à le mettre hors circuit et le plaça quasiment en résidence surveillée. Ce rendez-vous semble avoir provoqué cette arrestation.

Les autorités reprocheraient à Mouktar Diallo des actes relevant de "l'atteinte à la sûreté de l'Etat", selon une bonne source, mais sans qu'aucun élément ne vienne appuyer ces accusations. "Le ministre de la justice nous a dit que cela ne relève pas de ses compétences. Selon lui, Mouktar est un dossier Tiégboro. Lui seul peut décider", s'étonne Mamadou Aliou Barry.

Problème, le ministre chargé de la lutte contre la grande criminalité a disparu ! Le 3 décembre, peu de temps après la tentative d'assassinat contre Dadis, le capitaine Tiégboro a été grièvement blessé dans l'explosion d'une grenade à bord de sa voiture au camp Alpha Yaya, dans des circonstances confuses.

Transporté au Maroc avec le chef de la junte, il y serait toujours hospitalisé. Mais, depuis ce 4 décembre, silence. Son nom a totalement disparu des colonnes des journaux et des conversations de Conakry. L'espoir de la famille Diallo repose dorénavant sur le président par intérim, Sékouba Konaté, un militaire lui aussi un peu rude mais que l'on dit plus respectueux de certaines règles.

Christophe Châtelot
Source:
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2009/12/30/le-sort-de-mouktar-diallo-defenseur-des-droits-de-l-homme-incarcere-illustre-l-arbitraire-en-guinee_1285973_3212.html#ens_id=1246411

Tag(s) : #Société-Guinée