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En ce samedi brûlant de décembre 2009, la centaine de villageois ne tient pas sous le manguier de la place de Doumbouya, un village pauvre de maraîchers à 50 kilomètres à l'est de Conakry. Les rayons du soleil dardent les boubous colorés des femmes sagement alignées sur des chaises en plastique. Les hommes sirotent silencieusement leurs sodas à l'ombre des branches. Les plus jeunes, casquettes en arrière et débardeurs, vont et viennent aux derniers rangs de cette assemblée communale qui écoute religieusement Keoulen Coulibaly, arrivé de Conakry pour tenter d'apporter des solutions afin d'atteindre l'autosuffisance alimentaire.

Sous le manguier, le président de l'Organisation pour le développement de la société informelle et de la protection de l'environnement en Guinée (Odesipeg), une ONG indépendante créée il y a cinq ans, donne, en effet, un genre de cours d'économie. Instinctivement, M. Koulibaly fait du développement durable sans le savoir et sans beaucoup de moyens. Mais son message est simple : "Pas de Guinée prospère sans agriculteurs prospères, pas de Guinée souveraine sans une Guinée autosuffisante sur le plan alimentaire", lance cet ex-syndicaliste quinquagénaire.

Le pays ne manque ni de terres arables et encore moins de ressources hydrauliques. "Ne surnomme-t-on pas la Guinée le château d'eau de l'Afrique de l'Ouest ?", nous rappelle Keoulen Coulibaly. Pays de forêts, de champs, de rizières et de pâturages, où le secteur agricole regroupe 80 % de la population active, mais ne fournit que 25 % du PIB. Pays rural, importateur net de produits alimentaires. Pays de rivières, où la plupart des quartiers de la capitale, Conakry, sans parler des villages, ignorent l'eau courante, voire l'électricité. "L'agriculture en Guinée est essentiellement une agriculture de subsistance pouvant difficilement procurer des revenus substantiels", notait une enquête de la Banque mondiale. M. Coulibaly vient donc expliquer qu'au-delà des cultures traditionnelles - concombres, piments, aubergines, gombos cultivés sans engrais ni système d'arrosage, "ni avec la sueur des hommes", glisse une femme du village -, les agriculteurs doivent développer des sources de revenus complémentaires.

A Doumbouya, le contrat prévoit de planter des hévéas, quand seront venues à terme les graines actuellement choyées en pépinière, dans une terre riche et protégée du vent par un petit monticule d'ordures, sous le regard d'un ingénieur agronome du cru. A l'occasion de la cérémonie sous le manguier, l'Odesipeg a reçu un vaste terrain - aujourd'hui parsemé de palmiers inutiles - que les villageois et l'ONG exploiteront en commun.

"Le caoutchouc naturel représente un vrai marché", explique François Martin. Ce Français installé de longue date dans le pays dirige le bureau d'études sur le développement durable Comptoir international de Guinée. Des hévéas donc, mais l'espoir repose surtout sur le biocarburant jatropha, ou pourghère, surnommé "l'or vert" en raison des qualités de son huile, comparables à celles du diesel, tirée des grappes de fruits poussant sur cet arbuste coriace.

"La souche guinéenne de cette plante est l'une des meilleures au monde", souligne M. Martin, qui vient de signer un important contrat de livraison d'huile de pourghère avec l'Italie, tout en garantissant les deux tiers de la production au marché guinéen. "L'idée est que les agriculteurs plantent des haies de jatropha - pas de la culture extensive -, et la récolte des fruits leur assurera un complément de revenu. Il faut assurer l'autosuffisance", explique cet altermondialiste.

Keoulen Coulibaly se prend à rêver d'un tel développement qui rejaillirait sur toute son association, bien au-delà du simple cadre agricole. Car l'Odesipeg ratisse large, sur tout le territoire, dans tous les métiers du secteur informel.

Autre jour, autre cadre. A Conakry, dans les jardins de la grande mosquée Fayçal et du mausolée des grands hommes de Guinée, une cohorte de femmes nettoie le sol avec de maigres balais en pailles de riz. Teinturières, vendeuses de poisson, fabricantes de savon, couturières, coiffeuses, elles se retrouvent là tous les matins sous les immenses arbres du parc. "Nous avons toutes, pour diverses raisons, perdu nos emplois ou nos maris, voire les deux", explique Bountouraby Camara, une comptable au chômage depuis huit ans. "Quartier par quartier, nous nettoyons bénévolement les lieux de culte et les marchés pour conserver notre dignité, prouver qu'on existe en attendant d'avoir les moyens de refaire notre métier", ajoute-t-elle.

Elles sont 7 000, à Conakry, membres de l'Odesipeg, qui coordonne leurs activités et tente de les maintenir à flot. "Nous avons besoin de partenaires", finit par lâcher Keoulen Coulibaly.

Christophe Châtelot
Source: http://www.lemonde.fr/afrique/article/2010/01/05/en-guinee-une-ong-veut-aider-le-pays-a-sortir-de-l-agriculture-de-subsistance_1287626_3212.html#ens_id=1246411

Tag(s) : #Société-Guinée