William Kennard, ambassadeur américain auprès de l'Union européenne (UE), estimait il y a un mois à peine qu'il n'y avait jamais eu par le passé de "meilleur moment" pour "revigorer la
relation transatlantique". Mais jeudi 11 février, les députés européens ont porté un coup très sévère à cette affirmation.
A Strasbourg, une large majorité (378 voix pour, 196 contre) s'est dégagée pour remettre en cause l'accord dit "Swift", qui permettait aux services américains du Trésor d'accéder aux données
bancaires des Européens, au nom de la lutte contre le terrorisme. Par ce vote, le Parlement européen, suivant l'avis de sa commission des libertés, a annulé un accord signé le 30 novembre 2009
par les 27 ministres de l'intérieur de l'Union.
La décision des eurodéputés a été décrite comme "un revers pour la coopération antiterroriste" par la mission américaine auprès de l'UE. La commissaire européenne aux affaires intérieures,
Cecilia Malmström, a dit "respecter" la décision du Parlement. Elle avait évoqué, avant le vote, la "menace pour la sécurité" que représentait, selon elle, l'attitude des parlementaires.
Jeanine Hennis-Plasschaert, députée libérale néerlandaise et rapporteuse du texte, a contesté jusqu'au bout l'idée qu'un "vide juridique" pouvait être engendré par le vote. Un accord
euro-américain relatif à l'entraide judiciaire, instrument plus général, permettrait, en cas de nécessité, d'offrir le cadre légal à des échanges de données, y compris bancaires, dans le respect
des législations nationales sur la protection des données, estime-t-elle.
La défaite est, en tout cas, très rude pour le Conseil européen, la Commission et les Etats membres qui, tous, avaient multiplié pressions et promesses tardives pour convaincre les députés. Le
Conseil avait dit sa volonté de négocier un accord institutionnel avec le Parlement pour faciliter son accès aux parties classées confidentielles des accords internationaux. Les eurodéputés, qui
avaient demandé dès le début à être associés à la négociation de l'accord Swift, déploraient, en effet, qu'on leur ait longtemps caché une bonne partie des informations.
José Manuel Barroso, le président de la Commission, avait, de son côté, déclaré qu'il allait prendre en considération les préoccupations concernant "l'équilibre indispensable entre les mesures
sécuritaires et la protection des libertés fondamentales". L'Espagne, qui exerce la présidence tournante de l'UE, avait demandé du temps pour revenir "dans quelques mois" présenter les résultats
de ses conversations avec les Etats-Unis sur une augmentation des garanties quant à la protection des données.
Tous ces éléments n'ont, en définitive, pas davantage pesé que les rapports de Jean-Louis Bruguière. L'ancien juge antiterroriste français avait enquêté, pour le compte de Bruxelles, sur les
pratiques américaines et affirmé, dans deux documents, qu'elles étaient légales et nécessaires. Et qu'elles avaient permis aux Européens de disposer de quelque 1 500 rapports ainsi que
d'informations qui avaient entraîné le démantèlement de cellules terroristes en Allemagne, en Espagne et empêché des attentats aux Royaume-Uni.
Initié peu après les attentats du 11 septembre 2001, le Terrorist Finance Tracking Program (TFTP) américain est destiné à démasquer des réseaux de soutien financier au terrorisme. Longtemps
secrète, son existence n'a été révélée qu'en juin 2006 par le New York Times. A partir de là, diverses instances européennes - dont certaines étaient sans doute au courant de cette pratique - se
sont efforcées de mettre au point des accords permettant tout à la fois aux Etats-Unis de continuer à accéder aux données du réseau Swift et à l'Europe de faire mieux respecter son droit à la vie
privée et à la protection des données personnelles.
La Commission de Bruxelles est, au plan institutionnel, l'organe qui doit désormais tenter de renégocier un texte. Cecilia Malmström va annoncer rapidement la création d'un groupe de travail,
incluant un représentant du Conseil. Il reste à savoir si les autorités américaines jugeront utile d'y participer. Elles avaient menacé de ne plus travailler avec les institutions de l'UE en cas
de veto du Parlement.
Ce dernier affirme avoir agi pour le respect des principes légaux. Il était toutefois très désireux d'affirmer aussi sa nouvelle légitimité et ses nouveaux pouvoirs après l'entrée en vigueur du
traité de Lisbonne. "Ce vote est une bonne nouvelle pour l'équilibre politique au sein de l'Union : le Parlement montre son influence face aux gouvernements mais aussi face à la pression des
Etats-Unis", a souligné la députée socialiste Sylvie Guillaume. Guy Verhofstadt, chef du groupe des libéraux et démocrates (ALDE), a évoqué "un moment historique où le Parlement a montré qu'il
était sur un pied d'égalité avec le Conseil".
Jean-Pierre Stroobants
Source: http://www.lemonde.fr/web/sequence/0,2-3210,1-0,0.html