Après deux mois d'absence du président, au Nigeria, le vide à la tête du pays le plus peuplé d'Afrique vient de produire ses premiers effets. Samedi matin 30 janvier, les groupes
armés de la région d'exploitation du pétrole ont annoncé la rupture du cessez-le-feu en vigueur et la reprise de la guerre du brut.
Depuis le 23 novembre 2009, date à laquelle le président Umaru Yar'Adua a été évacué en urgence pour raisons médicales vers un hôpital d'Arabie saoudite, aucun dossier d'importance ne peut être
traité au Nigeria. Le processus de paix initié par Umaru Yar'Adua avant son hospitalisation est enlisé.
Le Mouvement d'émancipation du Delta du Niger (Mend) a annoncé dans un courrier électronique que "toutes les compagnies liées à l'industrie pétrolière dans le delta du Niger devraient se préparer
pour un assaut général contre leurs installations et leurs employés". Le porte-parole du Mend, Jomo Gbomo, intime dans le même message l'ordre aux compagnies pétrolières de "cesser leurs
opérations car toutes les installations opérationnelles attaquées seront brûlées jusqu'au sol".
En dépit de leur grandiloquence, ces menaces sont sérieuses, tant l'exploitation pétrolière est à la merci des attaques du Mend. Conjuguées au "bunkering", détournements de pétrole à partir des
oléoducs, ces attaques ont fait chuter la production nigériane de 2,6 millions à 1,5 million de barils par jour. La compagnie anglo-néerlandaise Shell a déjà annoncé, vendredi, la vente d'une
partie de ses actifs au Nigeria.
Depuis son hospitalisation, Umaru Yar'Adua est invisible. Il a accordé un entretien par téléphone à la BBC, d'une voix si faible que beaucoup sont convaincus qu'il ne sera pas en mesure de
revenir aux affaires. Et l'annonce faite mercredi, par le vice-président, Goodluck Jonathan, que le président serait "bientôt de retour" apparaît plus comme une mesure destinée à calmer les
esprits.
Depuis des semaines, un groupe de responsables politiques nigérians tente de pousser le président à abandonner le pouvoir. Soit en incitant le président à signer lui-même des lettres aux deux
chambres du Parlement pour confier le pouvoir, par intérim, au vice-président, procédure requise par la Constitution, soit en obtenant sa destitution.
Les fidèles de M. Yar'Adua et sa puissante famille s'opposent à ces tentatives, livrant en coulisse une bataille politique pour la succession dont les conséquences sont imprévisibles. Une règle
du parti au pouvoir, le Parti démocratique du peuple (PDP), forgée pour maintenir l'équilibre du pays, établit que la présidence revient par roulement (et pour deux mandats) à des responsables du
Nord, puis du Sud. Elu en 2007, Umaru Yar'Adua devait représenter les intérêts du Nord, puis être réélu en 2011 pour quatre autres années. S'il devait céder le pouvoir à son vice-président
sudiste, cet équilibre non-écrit serait perturbé, le pouvoir risquant d'échapper aux responsables du Nord.
Umaru Yar'Adua avait été choisi par l'ex-président, Olusegun Obasanjo, pour être le candidat du PDP. Les observateurs y avaient vu la volonté du président Obasanjo, qui avait échoué à modifier la
Constitution pour s'autoriser un troisième mandat, de régner par procuration en influençant un Umaru Yar'adua à la santé fragile.
Mais ce dernier s'était révélé indomptable, engageant des réformes jugées hostiles par les alliés d'Olusegun Obasanjo. Ces derniers, aujourd'hui, pèsent de tout leur poids pour évincer le
président malade, considéré comme un "traître", selon une bonne source.
Sur ce schéma classique, d'autres acteurs se sont greffés. Des membres d'organisations de la société civile, notamment un mouvement emmené par le Prix Nobel de littérature, Wole Soyinka, militent
sur le terrain juridique pour mettre fin à cette période de vide, en brandissant la Constitution. "Le fait que les discussions se mènent dans un cadre constitutionnel est une preuve de maturité
du Nigeria", espère le Dr Dossou David Zounmenou, chargé de recherche sur le Nigeria à l'Institut d'études de sécurité de Pretoria.
Cela n'efface pas la crainte de voir des responsables militaires alliés à l'une des factions politiques s'engouffrer dans le vide, selon une tradition nigériane éprouvée. La surveillance des
officiers supérieurs a été renforcée, les mouvements de toutes les unités strictement encadrées.
Jean-Philippe Rémy
Source: http://www.lemonde.fr/afrique/article/2010/01/30/au-nigeria-des-rebelles-menacent-l-activite-petroliere_1298957_3212.html#ens_id=1294210