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149153_1689276241608_3633851_n.jpgMonsieur le Président,

 

Il est des mots, des discours prononcés, des dérives, en face desquels le devoir d’une prise de parole exigeante s’impose.

 

Je suis un citoyen Guinéen. Une grande nation qui a su s’imposer par son courage et sa dignité en refusant de plier face à la volonté de domination de l’ancienne puissance coloniale, la France. En disant « Non » au Général De Gaule, nous avons obtenu notre indépendance en 1958, et nous avons fait le choix politique de vivre dignement, plutôt que de vivre dans l’esclavage. Cette preuve de courage n’a malheureusement pas pris suffisamment de galons, et la mémoire collective aujourd’hui se soucie peu de toute la valeur de ce moment historique qui a fait de mon pays un symbole de liberté, d’amour propre et de fierté.

 

Mon pays a été le bastion de la résistance africaine. Le mouvement de libération Algérien, l’Angola, le Mozambique, les Congo Kinshasa et Brazzaville, la Guinée Bissau, ou encore le Cap Vert, se souviennent tous que la Guinée a été l’exemple, l’allié et le pivot des indépendances du continent. Elle avait la crédibilité suffisante pour protéger des ressortissants Sud-africains de l’apartheid. Cette période définissait réellement ce qu’est le panafricanisme, car non seulement mon pays défendait des valeurs sûres, mais il avait pour projet de donner toute sa dignité en priorité au peuple Guinéen.

 

Pourtant, vous travaillez activement à soumettre mon pays aux forces extérieures. Vous préférez confier l’exploitation du port autonome de Conakry au réseau français de Boloré qui par ailleurs aurait financé votre campagne. Vous placez notre force diplomatique et politique entre les mains de conseillers étrangers tels que votre « grand ami » Bernard Kouchner, ou l’ancien premier ministre britannique Tony Blair. En procédant de la sorte, vous faite le choix de nous plier à des protocoles imposés par «des experts» bien souvent étrangers aux réalités plurielles de notre pays. Vous nous entraînez dans des rituels de soumission sociale, économique et politique, indignent d’une république indépendante et à laquelle nous sommes fortement attaché-e-s. Le pays est au plus bas, car cette fierté qui nous appartenait en tant que peuple indépendant a de moins en moins de sens. Comment pouvons-nous accepter cela, Monsieur le Président? Comment pouvez-vous l’accepter?

 

 

Du 15 au 17 juillet dernier, plus de 100 personnes ont été tuées et blessées  à N’ZéréKoré à l’arme automatique, au fusil traditionnel ou à l’arme blanche. En visite de 48 heures à Abuja, vous avez résumé le drame de la région forestière de votre propre pays en ces termes : « Il y a une mauvaise habitude aujourd’hui en Afrique de l’ouest, les gens veulent se faire justice. Très souvent on attrape un voleur et au lieu de l’envoyer à la gendarmerie, on le tue. C’est ce qui s’est passé en Guinée forestière, à N’ZéréKoré, on a attrapé un voleur, on lui a coupé le bras et il est mort ». Cette prise de position éminemment stigmatisante a provoqué un vif émoi, totalement justifié, parmi les citoyens et citoyennes de votre pays.

 

Cette « mauvaise habitude » des africains de l’ouest que vous décriez devrait plutôt provoquer dans l’appareil étatique une profonde remise en question. Les citoyens et citoyennes de cette partie du pays, comme partout en Guinée, ont besoin d’avoir confiance en leur système de justice. Or, celui-ci n’est absolument pas indépendant. Les abus récurrents de la part des autorités judiciaires, policières, ou politiques ont créé une atmosphère d’impunité où tous et toutes savent que le seul moyen d’obtenir gain de cause est de ne plus se fier à leurs institutions. Vos mots, votre gestion de cette crise, ainsi que les priorités que vous vous donnez malgré le drame qui se joue sur votre territoire est à l’image de toute la distance que vous créez entre la population et vous. Nous, gens du peuple, observons qu’un massacre ne provoque pas l’annulation immédiate des déplacements de notre président. Nous observons également que vos priorités en matière de justice cautionnent l’impunité.

 

En effet, Conakry a vécu ses heures les plus sombres le 28 septembre 2009, alors que le peuple s’était rendu au stade afin d’exiger une démocratie. Vous aviez promis de faire toute la lumière sur les massacres et les viols qui ont eu lieu à cet endroit. Nous attendons toujours. Par contre, le procès fantoche des soldats supposés avoir attaqué votre domicile s’est organisé avec une grande efficacité. Cette manœuvre semble avoir pour but premier d’imposer votre autorité au sein d’une armée que vous souhaitez maintenir sous votre joug, tout en divisant la Guinée selon des considérations ethniques en accusant « une certaine communauté » d’être à la solde de complots contre votre personne.

 

Un autre exemple frappant de l’impunité de nos instances étatiques se trouve également dans le fait que vous mandatez le ministre chargé de la sécurité présidentielle Claude Pivi, et le ministre des services spéciaux chargé de la lutte anti-drogue, le Capitaine Moussa Tiegboro Camara, pour aller désamorcer les tensions à N’ZéréKoré. Ces deux hommes ont pourtant été  formellement inculpés pour leurs présumés implication dans les viols et le massacre qui ont eu lieu le 28 septembre 2009 à Conakry. Ont-ils donc réellement la crédibilité nécessaire pour jouer les rôles de pacificateurs alors même qu’ils sont toujours dans le collimateur de la justice internationale et que leur responsabilité respective dans les massacres n’ont pas été établies? Dans ces conditions, il est difficile de se sentir en sécurité et de compter sur nos institutions, alors que des hommes soupçonnés dans une affaire de crimes contre l’humanité conservent leur autorité. Ces deux ministres, bien que présumés innocents, auraient dû, par soucis d’impartialité et par respect pour le traumatisme de la population après le massacre de Conakry, être remplacés par d’autres.

 

Autre disfonctionnement dans nos institutions, et non des moindres : Nous avons une armée infiltrée par des éléments étrangers. D’abord, la présence de membres de l'Ulimo (United Liberian Mouvement) en sol Guinéen est plus que préoccupante.

Cette milice est connue pour avoir activement participé à la vie politique du Libéria et de la Sierra Leonne. Elle a été financée par la Guinée, avant de devenir une « armée de l’ombre » au service de Lansana Conté, et sert toujours d’outil pour réprimer dans le sang toutes les revendications portée par la population Guinéenne. De nombreux témoignages font état de la présence d’homme parlant anglais ou créole pendant les répressions de manifestants, au stade de Conakry en septembre 2009 et désormais à N’ZéréKoré. Qui sont-ils, et pourquoi sont-ils ici ?

 

Le peuple s’interroge toujours aujourd’hui sur les raisons qui vous ont poussé à offrir des tonnes de sacs de riz à la Sierra Leone au lendemain de votre élection, alors que votre propre population est dans le besoin. Était-ce pour entretenir cette milice incontestablement présente sur notre sol ? Aujourd’hui cette même cohorte armée semble être à son aise en Guinée en assassinant impunément des citoyens et citoyennes.

 

Un autre élément gangrène la paix civile dans mon pays, et il concerne l’inquiétante présence de Donzos, les chasseurs traditionnels, en Guinée. Le journaliste Paul Théa témoigne du fait que des équipes de tueurs ont poursuivi leurs assassinats pendant la nuit du 17 au 18 juillet dernier, selon des méthodes qui rappellent fortement les guerres de Sierra Leone et du Libéria voisins. Voir des Donzos dans les rues de N’ZéréKoré signifie voir des mains et des pieds coupés, des têtes tranchées, des personnes brûlées vives, ou encore des maisons détruites par le feu.

 

 

Vous n’êtes pas sans avoir que les Donzos sont bien connus en Afrique de l’Ouest pour leurs exactions commises à l’endroit des populations Sierra Leonnaise et Libérienne. Amadou Kourouma a d’ailleurs défini ce qu’est ce groupe dans son œuvre Allah n’est pas obligé, prix Renaudot 2000 : « depuis le 10ème siècle, il se trouve en Sierra Leone, comme dans toute l’Afrique de l’Ouest, une franc-maçonnerie (franc-maçonnerie signifie association ésotérique et initiatique) groupant les chasseurs, ces grands initiés, ces puissants magiciens et devins ». Ces Donzos sont aisément reconnaissables par leur accoutrement. Amulettes, peaux de bêtes, grigris, armes blanches ou armes de guerre, très souvent accompagnés de la pratique du cannibalisme et autres exactions. Selon Kourouma, les Donzos interviennent lorsqu’un président inquiet leur demande d’assurer sa sécurité personnelle. Le président Ivoirien Allassane Ouattara, l’ancien président et criminel de guerre Charles Taylor, ont clairement profité des « services » de leurs chasseurs traditionnels. Désormais les Donzos sont en Guinée…Pourquoi ?

 

Ceux-ci se font passé pour de simples gardes forestiers, mais personne n’est dupe. La présence d’hommes parlant anglais et créole et massacrant la population a toujours été remarquée, autant au stade de Conakry que lors des tristes événements de juillet dernier. À N’ZéréKoré, depuis un an, l’ancien préfet du lieu a été limogé justement après avoir protesté contre la présence sur son territoire de Donzos armée. Dans de telles conditions, difficile pour la population de compter sur ses institutions et de se sentir en sécurité, alors qu’elle est « protégée » par des hommes qui ont peut-être permis qu’elle soit massacrée et violée, tuée par des milices étrangères et réprimée par des chasseurs traditionnels au service des ambitions personnelles de quelques-uns.

 

Où est la gloire de notre armée ? Où est cette armée qui s’est illustrée sur tout le continent, en libérant d’autres pays africains de l’oppresseur et en les conduisant vers leur indépendance ? Où est cette armée Guinéenne qui a lutté contre les envahisseurs Libériens dans les années 2000 ? Les fils de la Guinée ne peuvent-ils pas conserver leur rôle de gardiens de notre État ?

 

La situation dans laquelle se trouve N’ZéréKoré pourrait aisément provoquer un report de la date des élections législatives que vous avez eu la générosité de fixer d’ici à la fin de l’année. Alors à qui profite le crime ?

 

Je suis Guinéen avant d’être Peul, Sousou, Malinké… Guerzé ou Konanké. Ma vie, autant que celle des gens  de N’ZéréKoré, a beaucoup de valeur, Monsieur le président. En fait, il aurait sans doute été logique que nos vies soient une priorité pour vous. En tant que citoyen guinéen, fier de sa patrie, de son Histoire, et amoureux de son peuple, je me dois de souligner tout votre mépris à l’endroit de ceux et celles qui vous ont démocratiquement élu.

 

Monsieur le président, entendez-vous qu’il s’agit là de la mise en route d’une inquiétante machine à broyer la paix sociale, d’un système qui risque d’amener toutes les parties concernées à l’indifférence à la résignation, sinon à pire…à la guerre civile ?

 

Monsieur le Président, vous avez les pouvoirs, de la place qui est la vôtre, d’agir immédiatement pour que cesse ce regain de tensions ethniques et d’impunité.

 

Monsieur le Président, nous vous demandons solennellement d’intervenir.
Permettez-nous de garder espoir.

 

LE 29 JUILLET 2013 

 

AMADOU DIAROUGA DIALLO

Tag(s) : #Société-Guinée