I-Vous, le fils digne de Sidi Bouzid
Vous êtes né au printemps de 1984 à Sidi Bouzid, gros bourg agricole du centre de la Tunisie, enclavé entre les montagnes de la Dorsale tunisienne et du Djebel el-Kbar. Vous êtes le troisième d’une famille de 7 enfants, et vous n’avez qu’un mince souvenir du sourire et des caresses de Taïeb, votre père ouvrier agricole qui vous a quitté alors que vous n’aviez que 3 ans. Comme héritage, votre père Taïeb lègue à toute la famille un simple lopin de terre.
Déjà à 6 ans, comme tout enfant digne de Sidi Bouzid, vous participez aux travaux des champs. Là, vous vous forgez un caractère. Vous assimilez très vite les codes et coutumes du milieu : dignité, honnêteté, patience et respect sont des valeurs cardinales à Sidi Bouzid.
À 14 ans, vous êtes au lycée et le poids de la responsabilité familiale pèse déjà sur vos épaules. Il y a 8 bouches à nourrir à la maison. Alors vous exercez occasionnellement le métier de maçon.
Sfax, c’est la ville qui fait rêver les jeunes de votre milieu qui aspirent à des lendemains meilleurs. Malgré l’attrait de Sfax, cette ville maritime économiquement développée, vous ne pouvez renoncez au rôle de soutien familiale qui vous est confié. Vous êtes l’homme de la famille et restez à Sidi Bouzid. Vous restez dans votre ville natale, votre ville agricole de 40 000 habitants.
Le poids de la responsabilité familiale, doublé d’un manque de moyens, amenuisent peu à peu vos espoirs d’aller au bout d’une formation qui vous ouvrirait les portes de l’ascension sociale. Vous abandonnez l’école au niveau terminale du lycée et vous vous inscrivez dans une association de chômeurs. Mais rien ne change. Rien de concret. Le statu quo vous est insupportable. À 19 ans, vous faites votre choix : vous voulez devenir un marchant ambulant. Vous voulez vendre des fruits et légumes pour permettre à votre famille de vivre dans la dignité. Marchant ambulant, vous l’assumez entièrement. Chaque soir, vous louez une camionnette pour vous approvisionner chez vos fournisseurs à Meknassi ou Souk el-Jedid. Vos fournisseurs ont beaucoup d’estime pour vous. Tous les jours vous vous procurerez des fruits et légumes que vous écoulez en parcourant les rues de Sidi Bouzid. Tout le monde vous apprécie pour votre patience, votre timidité et votre gentillesse. Vous êtes très complice avec votre mère Manoubia. Vous la taquinez souvent au retour de vos longues journées de travail. Elle vous adore. C’est elle qui vous a surnommé dès le bas âge Besbouss, ce qui signifie « celui qui est à croquer de baisers ». Quant à Zyed, le petit dernier de la famille, vous ne lui résistez pas. À l’heure de la sieste, vous préférez jouer avec lui plutôt que de dormir dans la pièce commune.
Par ailleurs, vous savez que vous vivez dans un milieu très injuste. Vous savez que la justice est du côté des plus forts. Vous savez qu’il y a ceux qui naissent sur la bonne et il y ceux qui naissent sur la mauvaise étoile. Vous savez que le système est conçu de telle sorte que ceux qui sont en haut le restent pour toujours, et ceux qui sont en bas le restent également pour toujours. Vous savez que même dans votre Sidi Bouzid natal le système corrompu se plaît à compliquer la moindre démarche dans le but de rançonner la population. Cela, vous le savez et vous l’avez vécu durant 7 années. D’abord, le lopin de terre que Taïeb, votre père, a légué à la famille sera confisqué par la banque suite au non-remboursement d’une dette contractée par la famille. Puis, parce que vous n’avez pas les moyens de verser des pots-de-vin à l’administration, vous avez exercé votre métier de marchant ambulant sans autorisation durant ces 7 années. Vous étiez un travailleur clandestin. Votre marchandise sera souvent confisquée par la police municipale, et il vous a fallut payer régulièrement des amendes pour récupérer votre charrette ou votre balance. Lorsque les agents de la police municipale ne vous collent pas une amende, ils se servent sans scrupule dans votre charrette. Les injustices du système, vous les vivez au quotidien. Un de ces soirs, vous avez d’ailleurs confié à votre sœur Leïla ceci : « … ici, le pauvre n’a pas le droit de vivre… ». Mais, pensant à la merveilleuse famille que vous avez en charge, vous n’avez eu d’autres choix que de résister aux injustices. Sans vous résigner, vous avez accepté de résister. Vous souhaitez que vos sœurs reçoivent une bonne éducation, et vous avez même des projets pour agrandir votre affaire. Votre rêve est de pouvoir acheter une camionnette pour ne plus avoir à pousser votre charrette.
Le 17 décembre 2010, lors de l’une de vos journées de travaille habituelle, les agents de la police municipale confisquent à nouveau votre charrette et votre balance. Essayant de plaider votre cause pour récupérer vos outils de travail auprès de la municipalité, il n’y a personne pour vous écouter. Vous insistez et vous vous faites insulter et chasser. Vous insistez à nouveau, une auxiliaire municipale du nom de Feida Hamdi vous gifle et vous crache dessus. Ce 17 décembre, vous êtes publiquement humilié et la dignité que vous avez cherché à préserver depuis tant d’années en poussant une charrette de fruits et légumes dans les artères de Sidi Bouzid, cette dignité est traînée par terre. Pour un fils digne de Sidi Bouzid, la dignité est une valeur cardinale. Le système corrompu vient à nouveau de vous humilier et de vous réduire à une simple bête. Vous en avez totalement marre et vous ne le supporterez plus jamais. Mais que pouvez-vous faire face à un système oppressif aussi fort? Que pouvez-vous faire face à un régime reconnu au monde comme étant l’un des plus policiers? Que pouvez-vous faire pour rétablir justice? Vous n’allez pas rester sans rien faire. Vous allez préférer brûler.
Oui, vous allez préférer vous immoler par le feu devant le siège du gouvernorat de Sidi Bouzid. Vous êtes en feu. C’est presqu’entièrement cramé qu’on vous transportera à l’hôpital local, puis à Sfax, et enfin au centre de traumatologie et des grands brûlés de Ben Arous, près de Tunis. C’est recevant des soins intensifs sur votre lit d’hôpital que l’incarnation suprême du système oppressif depuis 24 ans, Zine el-Abedine Ben Ali, viendra le 28 décembre 2010, terrifié par votre acte de défiance contre son régime, saluer l’enfant de Sidi Bouzid. Ce jour, vous sur votre lit d’hôpital et le tyran en face de vous, la Tunisie et le monde entier vous a entendu, la Tunisie et le monde entier vous à compris. Ce jour vous étiez le plus fort.
En dépit des soins intensifs que vous recevrez à l’hôpital Ben Arouf, le 4 janvier 2011 vous décédez jalousement et très fièrement accroché à votre dignité. L’enfant de Sidi Bouzid c’est vous : Mohamed Bouazizi. Vous n’êtes plus là aujourd’hui, mais vous êtes sortis de l’anonymat. Vous, Mohamed Bouazizi, le feu que vous avez allumé enflammera le peuple tunisien. Mais pas seulement. Comme vous, il y aura des dizaines de Mohamed Bouazizi qui s’immoleront par le feu au Maroc, en Mauritanie, en Égypte, en Algérie, au Libye, au Sénégal, ... Votre flamme galvanisera votre peuple et soulèvera une vague de révolution qui chassera le tyran inamovible de Tunis et le pharaon d’Égypte. Vous, Mohamed Bouazizi, l’enfant de Sidi Bouzid, vous avez redonné espoir aux peuples opprimés du monde. Vous avez rappelé aux peuples opprimés du monde que, même face aux plus grandes tyrannies du monde, il existe d’autres choix en dehors de la fatalité et de la soumission. Il existe la dignité, la résistance et le sacrifice. Mohamed Bouazizi, vous êtes un martyres et un héro. L’hôpital Ben Arouf et l’avenue du 7 novembre qui symbolisait la date à laquelle le tyran Ben Ali a pris le pouvoir porteront désormais votre nom : Mohamed Bouazizi. Tout le monde est d’accord : vous avez été le plus fort.
II-Les puissances occidentales découvrent Mohamed Bouazizi
En plus d’éveiller les peuples opprimés et d’initier une immense vague de révolution, la flamme de Mohamed Bouazizi a aussi réussi à faire tomber plusieurs mythes fabriqués pour justifier durant près d’un demi-siècle le soutient des puissances occidentales aux régimes despotes et tyranniques d’Afrique et du monde arabe.
1-Le mythe de « la répression au nom de la lutte contre le terrorisme » : il est connu de tous que bien avant, mais surtout à partir des attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center et le Pentagone, au nom de la lutte contre le terrorisme, les puissances occidentales apporteront un soutient inconditionnel et aveugle aux régimes tyranniques de l’Afrique du nord. Dans le cadre de ce soutient, s’installera une étroite collaboration entre les services secrets des puissances occidentales et ceux des régimes tyranniques de l’Afrique du Nord pour traquer les groupuscules islamistes extrémistes et Al-Qaeda. Le prix que les dictateurs des régimes tyranniques d’Afrique du nord réclameront en contrepartie de cette étroite collaboration n’étant autre que le silence des puissances occidentales face à l’arbitraire et à la corruption régnant dans leurs pays.
C’est ainsi que les puissances occidentales développeront le mythe de « la répression au nom de la lutte contre le terrorisme ». C’est un mythe en vertu duquel « celui qui ne soutiendrait pas la politique de répression des régimes tyranniques ferait le jeu des islamistes extrémistes et Al-Qaeda. Les seuls choix qui s’imposent aux peuples d’Afrique du Nord n’étant autre que "la répression" ou "les islamistes extrémistes" ». Ce mythe conduira d’ailleurs le déclenchement des « guerres dévastatrices contre le terrorisme » en Afghanistan (2001) et en Irak (2003). Aussitôt, la torture, les prisons secrètes, la violation des libertés individuelles, les détentions arbitraires, les confiscations électorales, la corruption et le népotisme caractériseront les régimes tyranniques d’Afrique du nord. Les révélations par Wikileaks des câbles diplomatiques américains viendront confirmer aux yeux des opinions publiques du monde à quel point ces régimes tyranniques d’Afrique du nord étaient gangrenés par la corruption et le népotisme. Toutes ces pratiques étaient non seulement connues des puissances occidentales, mais de plus, d’importants traités de paix, comme ceux entre Israël et l’Égypte, et de grands projets d’avenir, comme l’Union pour la méditerranée, reposeront sur la signature de tyrans qui ne veulent aucune paix et n’ont aucun projet d’avenir pour leurs propres peuples.
Grâce au mythe de « la répression au nom de la lutte contre le terrorisme », les cris des peuples et des organisations de défense des droits de l’homme et de la démocratie seront inaudibles aux oreilles des puissances occidentales. La déconnection entre les puissances occidentales et les populations opprimées d’Afrique du nord atteindra un tel fossé que, non seulement les régimes tyranniques et les puissances occidentales n’ont pas vue la flamme de Mohamed Bouazizi arriver, mais de plus, lorsque la flamme du fils digne de Sidi Bouzid à dégénéré dans tout le Maghreb, les puissances occidentales n’ont pas tout de suite compris la nature de la vague qui venait de se soulever. C’est ainsi que, en pleine « révolution de Jasmin » en Tunisie, la France proposera dans la foulée une assistance policière au régime tyrannique de Zine el-Abedine Ben Ali pour réprimer les populations.
Au cours des révolutions africaines du Maghreb les jeunes révolutionnaires n’ont jamais scandé « au nom de Dieu mort à Israël! mort à l’Amérique! mort à l’occident! ». Ils n’ont jamais scandé « vive Al-Qaeda! ». Lors des révolutions africaines du Maghreb, les révolutionnaires étaient des citoyens de toutes les couches sociales (étudiants, femmes, filles, diplômés, employés, chômeurs, personnes âgés, syndicats, musulmans, chrétiens,…). Ces révolutionnaires étaient non seulement imprégnés des nouveaux outils de communication (twitter, facebook, google), mais de plus, ils étaient non-violents et ne scandaient que : « pain, liberté, et démocratie! » Rien de moins. Encore une fois, rien de moins. Finalement, mis à part "la répression" et "Al-Qaeda", il y avait bel et bien un troisième choix qui s’offrait aux peuples africains du Maghreb : c’est la démocratie. La lutte contre le terrorisme n’est finalement pas incompatible avec les aspirations démocratiques des populations africaines du Maghreb.
Les puissances occidentales venaient de comprendre que, certes la collaboration entre services secrets à permis d’avoir un œil sur les groupuscules islamistes extrémistes, mais la médiocrité et la répression des tyrannies qu’elles soutenaient aveuglement est aussi le terreau fertile de ces mêmes groupuscules islamistes extrémistes qui n’hésitaient pas à capitaliser sur le ressentiment des populations laissées pour compte par les régimes. La réalité est que les tyrans brandissaient exagérément la menace terroriste pour s’accrocher au pouvoir, violer les libertés fondamentales et réprimer leurs populations. Mais en période de sévère crise financière et économique mondiale, le népotisme, la corruption, les inégalités sociales, la cherté de la vie, le chômage et la médiocrité des tyrannies d’Afrique du nord ne pouvaient plus garantir à court et moyen terme la stabilité sociale. Le statu quo ne pouvait plus tenir. Le fils digne de Sidi Bouzid, Mohamed Bouazizi, n’a fait qu’allumer la mèche.
2-Le mythe de « l’autoritarisme pour la stabilité et la croissance » : en effet, la démocratie exige que les citoyens participent ouvertement à la gouvernance, que leurs préférences en matière de politiques publiques soient prises en compte par ceux qui gouvernent, que les gouvernants maintiennent des rapports de communication avec les gouvernés et qu’ils soient périodiquement prêts à répondre de leurs actes devant les gouvernés. De par son caractère ouvert et participatif, il apparaît donc que la démocratie est tout simplement indissociable « d’alternance politique ». D’ailleurs nous remarquons que la stabilité politique dans les démocraties occidentales est ci-bien établie qu’elle s’enracine dans l’alternance politique et démocratique.
Par ailleurs, il se trouve que les pays africains, dont ceux du Maghreb, sont confrontés à la fois à un vaste éventail de défis à relever : gérer les diversités ethniques héritées du découpage coloniale, construire et renforcer les capacités de l’État, démocratiser le système politique, libéraliser l’économie et garantir les besoins élémentaires des populations. Étant donné que tous ces objectifs de développement nécessitent des ressources considérables et que ces ressources sont rares, alors, selon le mythe de « l’autoritarisme pour la stabilité et la croissance », des régimes autoritaires ou tyranniques sont les meilleurs régimes que les peuples d’Afrique peuvent espérer. C’est le mythe en vertu duquel « des sociétés à fortes attentes sociales ne peuvent connaître la stabilité dans un système démocratique ». Ainsi, afin d’éviter tout risque de perdre leur légitimité en ne réussissant pas à répondre à un grand nombre d’attentes populaires, grâce au mythe de « l’autoritarisme pour la stabilité et la croissance », les gouvernants africains, dont ceux du Maghreb, ont préféré implanter des structures politiques autoritaires plutôt que des structures politiques qui encouragent la participation citoyenne et démocratique. De ce fait, en Afrique, contrairement aux pays occidentaux, l’ingrédient fondamental pour toute démocratie qu’est "l’alternance politique" emprunte généralement, sous les bénédictions des puissances occidentales, des procédures qui ne font que prolonger les régimes autoritaires et tyranniques déjà en place (coup d’État, confiscations électorales, scores électoraux soviétiques,…).
Les meilleurs exemples d’application de ce mythe sont d’ailleurs d’actualité. Il s’agit de la Tunisie, de l’Algérie, de l’Égypte et de la Libye. Ces pays ont réalisé en 2010, respectivement, des taux de croissance de 4,5%, 4,6%, 5% et 7%. Ces chiffres ont tellement séduit les puissances occidentales que, non seulement la répression politique employée par ces régimes tyranniques passait inaperçue, mais de plus, jusqu’à il y a moins de 3 moins, ces régimes étaient cités en exemple. Pour les entreprises des puissances occidentales, ce sont des pays où il est bon de faire des affaires et c’est tout ce qui compte : les contrats d’entreprises, les concessions pétrolières et minières, et les contrats d’armements ont afflué ces dernières années vers ces pays. Pour le Fonds Monétaire International, c’était de très bons élèves et rien de moins. Cependant, le fils digne de Sidi Bouzid vient de faire tomber le mythe de « l’autoritarisme pour la stabilité et la croissance ». En effet, suite aux révolutions africaines du Maghreb, s’il est vrai que l’autoritarisme des régimes politiques africains sert la croissance, cependant, il apparaît que cet autoritarisme ne sert en aucun cas le développement et le bien-être des populations locales. La forte croissance de la Tunisie n’a certainement pas atteint Sidi Bouzid. La forte croissance en Égypte ne se voyait pas non plus à la place "Tahir". La forte croissance Algérienne et Libyenne ne semble pas non plus assouvir la soiffe « de pain, de liberté et de démocratie » des populations algériennes et libyennes. Il apparaît finalement que loin de garantir la stabilité et la croissance, l’autoritarisme ne fait qu’enfouir sous terres des conflits sociaux potentiels au risque de les voire éclater de façon soudaine et incontrôlable. Le mythe est tombé. Pour garantir la stabilité et la croissance en Afrique, il va falloir que les puissances occidentales se résolvent à admettre le fait que, comme en occident, « alternance politique et démocratique » n’est pas synonyme d’instabilité. L’un des meilleurs exemples à ce titre est le Ghana. L’un des pays africains qui affiche la croissance la plus forte, la plus stable et la plus durable. Le Ghana s’est résolument engagé ces dernières années sur la voie de la démocratisation en considérant « l’alternance politique » comme un élément essentiel de sa stabilité politique et sociale. Il va falloir que les puissances occidentales admettent définitivement le fait que leurs intérêts économiques ne sont pas incompatibles avec les aspirations de liberté et de démocratie des populations africaines.
3-Le mythe de « la primauté du pain » : ce mythe dérive de l’idéologie chauviniste née à l’époque de l’expansion des empires coloniaux européens. En effet, au-delà des aspects économiques, la colonisation fut aussi conduite par une Europe triomphante au nom des valeurs de sa civilisation. En Grande Bretagne, R. Kipling incarna le « jingoïsme » qui assignait aux britanniques la mission d’éduquer les populations colonisées. En France, Jules Ferry évoquait en 1885 les droits et les responsabilités des « races supérieures » vis-à-vis des « races inférieurs » pour justifier sa politique coloniale. Aussi absurde que puisse paraître ces idéologies occidentales chauvinistes aux regards de l’histoire et de la grandeur des civilisations précoloniales africaines, se sont tout de même des idéologies qui furent non seulement défendues avec beaucoup de conviction par les impérialistes, mais de plus, elles façonneront durant un siècle et demi les modes d’existences et de pensées des populations colonisées et métropolitaines. C’est une époque au cours de la quelle les populations colonisées seront privées de la qualité d’homme, et les populations métropolitaines seront largement investi du droit de "civiliser" leurs sujets.
Mais l’Europe triomphante fera son temps et connaîtra sa fin suite aux deux guerres mondiales. Un mouvement de décolonisation en deux étapes sera enclenché. La première étape allant de 1945 à 1960, et la seconde au tournant des années 60 avec l’engagement de l’ONU en faveur des peuples encore sous domination coloniale.
En dépit de la décolonisation, les ex-puissances impérialistes auront du mal à renoncer aux idéologies chauvinistes. Non seulement elles auront du mal à s’imaginer une séparation de destins entre l’empire et ses ex-colonies (par-ci, il y aura de rudes guerres de décolonisation, et par-là, des arrangements de toutes sortes pour maintenir la domination de l’empire sous une forme ou sous-une autre), mais de plus, il leur sera insupportable de voire les ex-colonies se reconnecter à leurs propres valeurs traditionnelles ou découvrir de nouvelles langues, de nouvelles manières de penser, et des valeurs autres que celles enseignées par l’ex-empire. Les ex-puissances impérialistes n’envisagent l’avenir de leurs ex-colonies que sous « domination ». Une ex-colonie ne peut jamais égaler la métropole à plus forte raison la dépasser dans quelques domaines que ce soi. C’est à l’empire que revient le droit de civiliser et non à l’ex-colonie. Tout ce que les ex-colonies ont à faire, c’est de s’inspirer de l’empire.
À ce niveau, lorsque nous prêtons une fine attention aux moyens employés pour arriver à « l’aliénation culturelle » des populations colonisées, nous réalisons que les puissances impérialistes n’avaient rien laissé au hasard pour déformer, défigurer et détruire l’histoire et le passé des populations colonisées. Le but ultime étant d’habiter l’inconscient des populations colonisées de manière à ce que ces dernières croient profondément, non seulement que les impérialistes sont là pour les sortir de l’obscurité, mais aussi, que le départ des impérialistes serait synonyme pour elles de régression dans le barbarisme, la dégradation et la bestialité.
En dépit de la décolonisation, les droits de penser librement et de prendre l’initiative seront donc privés aux ex-colonies. C’est ainsi que, grâce à des réseaux obscurs, les ex-puissances impérialistes soutiendront des élites africaines colonisées et acquis à la cause de l’empire. Ce sont souvent d’éminents intellectuels, des hauts cadres et de grands officiers. Ces élites doivent gouverner aux destinées des ex-colonies. Gouverner les ex-colonies n’est pas une affaire compliquée, il suffit tout simplement de subvenir aux « besoins physiologiques » des populations. Et rien de plus. En effet, de manière consciente ou inconsciente, les ex-puissances impérialistes gardent toujours cette conviction selon laquelle, « confronté à faire un choix entre le pain et la liberté, les populations des ex-colonies choisiront le pain car elles sont de race inférieure ». Tout ce que les populations des ex-colonies se doivent d’être en attente est donc de nature physiologique. D’où le mythe de « la primauté du pain ».
Encore une fois, aussi absurde et léger que puisse paraître « l’idéologie chauviniste » des ex-puissances impérialistes, jusqu’à nos jours c’est une idéologie défendue avec beaucoup de conviction dans certains milieux politiques des puissances occidentales.
C’est ainsi que le mythe de « la primauté du pain » prévaudra jusqu’à la veille des révolutions africaines du Maghreb. Dans les pays africains, dont ceux du Maghreb, toute manifestation populaire était résolue par la répression ou, au plus, par du pain (augmentation de salaire et subvention du prix des denrées alimentaires). C’est d’ailleurs la même formule que les tyrans Ben Ali et Hosni Moubarak utiliseront pour calmer la grogne populaire. Mais voilà que les jeunes révolutionnaires africains du Maghreb ne scandaient pas simplement « Pain! Pain! Pain! ». Ils ont affronté à mains nues la machine répressive des régimes et scandé durant des semaines « Pain, Liberté et Démocratie! ». Pour une fois, de façon intelligible, ils ont osé penser par eux-mêmes. Ils ont osé imaginer par eux-mêmes leurs propres futurs. Le fils digne de Sidi Bouzid vient de donner une leçon de dignité et de faire tomber le mythe de « la primauté du pain ».
III- La "verticalisation" des révolutions africaines du Maghreb : depuis que Mohamed Bouazizi a allumé la mèche, la flamme de la liberté s’est propagée partout en Afrique du nord. En Tunisie et en Égypte la révolution aboutira après des centaines de morts et des semaines de résistance. Confronté à de gigantesques manifestations populaires, le royaume chérifien du Maroc prendra les devant, non seulement pour amenuiser la cherté de la vie, mais surtout, pour lancer de vastes réformes constitutionnelles en vue d’une plus grande participation des citoyens à la gestion de la chose publique. En Algérie, confronté à une redoutable grogne populaire, après une sévère répression, le régime du président Abdel Aziz Boutefikha puisera dans ses grandes réserves de pétrodollars pour mettre en œuvre un package social. Mais surtout, le régime algérien fera un geste fort en vers les libertés publiques : c’est la levée de l’État d’urgence en vigueur depuis 19 ans. La Mauritanie, le Soudan et le Djibouti aussi seront contraints par la grogne populaire à annoncer des packages sociaux. En Libye, malgré que le tyran Kadhafi ai pris les devants pour annoncer des packages sociaux, le révolte populaire sera phénoménale. La répression causera des milliers de morts, des centaines de milliers de refugiés, et le mouvement populaire prendra la forme d’une rébellion armée dont les seuls mots d’ordre sont : « pain, liberté et démocratie ».
L’espoir soulevé par le fils digne de Sidi Bouzid ne se limitera cependant pas seulement en Afrique du nord. Nous assisterons assez vite à une "horizontalisation" du mouvement et la vague de contestation touchera le Yémen, le Liban, la Syrie, la république islamique d’Iran, le sultanat d’Oman, l’émirat du Koweït, les royaumes de Bahreïn, de Jordanie et d’Arabie Saoudite, … Dans tous ces pays, en dépit de la répression et des packages sociaux offerts par des souverains et des tyrans au pouvoir depuis plus d’une vingtaine d’année, des millions de manifestants arpenteront les rues aux cris de : « pain, liberté et démocratie! ». C’est tout le moyen et proche orient qui s’enflammera. La flamme de Mohamed Bouazizi atteindra même l’empire du milieu.
Désormais, la seule question qui reste sous silence depuis le soulèvement de la vague révolutionnaire née en Afrique du nord est celle relative à la "verticalisation" du mouvement révolutionnaire. La vague révolutionnaire s’abattra-t-elle sur l’Afrique sub-saharienne? S’abattra-t-elle sur l’Afrique noire?
C’est une question que nous nous posons, mais en réalité les médias et les puissances occidentales semblent avoir déjà trouvé la réponse pour "tous". Pour les médias et les puissances occidentales, c’est non. Ou plutôt, pas du tout souhaitable. En effet, depuis l’aboutissement des révolutions Tunisienne et Égyptienne et l’"horizontalisation" du mouvement de contestation populaire, les puissants médias du monde entier peinent à s’accorder sur la qualification exacte à donner au mouvement révolutionnaire historique que nous vivons. Tantôt c’est « les révolutions arabes », tantôt c’est « le printemps arabe ». Mais pour les puissants médias occidentaux il n’est pas du tout question d’associer un mouvement aussi noble, digne et historique à l’Afrique. Malgré que le berceau de la vague révolutionnaire se trouve en Afrique du nord, malgré que jusqu’à présent ce n’est qu’en terres africaines que le mouvement a véritablement aboutit à des révolutions au sens propre du terme (Tunisie et Égypte), pour les puissances occidentales et les puissants médias du monde il n’est pas du tout question d’associer un mouvement aussi noble, digne et historique à l’Afrique. D’ailleurs les tentatives d’immolation par le feu de deux jeunes noirs africains du Sénégal ne seront pas couvertes par les médias occidentaux et ne seront pas commentés par les puissances occidentales. Ce noble, digne et historique mouvement doit être assimilé à tout sauf à l’Afrique. Pourquoi?
Il n’y a aucun doute sur le faite que, en plus de la misère, des inégalités et de la privation des libertés fondamentales, il y a un caractère identitaire en toile de fonds de tous ces mouvements de révoltes populaires de ce début d’année 2011. Mohamed Bouazizi est au moins un arabe au sens large du terme, de même que l’écrasante majorité des populations en révoltes. Donc, que les puissants médias occidentaux qualifient ce mouvement noble, digne et historique de « révolutions arabes ou de printemps arabes », il y a certainement une part de vérité. Mais il se trouve que le Sénégal n’est pas un pays arabe, et pourtant deux jeunes sénégalais se sont immolés par le feu comme Mohamed Bouazizi. À première vue, le croisement évident entre Mohamed Bouazizi, les populations arabes du Maghreb et les jeunes Sénégalais n’est certainement pas le caractère identitaire de leurs appartenances respectives, mais bel et bien leur sort et leur appartenance aux mêmes terres africaines. Donc, s’il y a une part de vérité dans la qualification jusque là donnée par les puissants médias occidentaux à ce noble, digne et historique mouvement révolutionnaire, cependant, le résumer à son simple caractère identitaire revient, non seulement à nier le lien « verticale » que dessine l’acte symbolique du mouvement (l’immolation par le feu), mais aussi, cela est très réducteur de la portée de l’acte historique posé par le fils digne de Sidi Bouzid. Dans ces évènements historiques du début d’année 2011, nous avons bel et bien à faire à « des révolutions africaines et arabes. C’est un printemps africain ».
Le plus important à présent est de comprendre pourquoi les puissances occidentales ne souhaitent pas assimiler ce noble, digne et historique évènement à l’Afrique. Il y a plusieurs explications possibles. Les intérêts économiques font certainement partie des raisons principales. Mais nous allons surtout nous intéresser à la raison la plus vicieuse et la plus subtile : « la volonté de domination ».
En effet, en qualifiant ces « révolutions africaines » de « printemps arabes », c’est d’abord à un pur reflexe colonisateur que nous assistons. Il s’agit de continuer à priver les populations d’Afrique sub-saharienne de toutes références historiques valeureuses, afin de pouvoir les maintenir dans cet état d’hibernation bestiale auquel la colonisation les ont prédestinés en vertu de « l’idéologie chauviniste » des ex-puissances impérialistes. Mais en dévoyant le caractère africain de ce mouvement révolutionnaire noble, digne et historique, c’est aussi à un sous entendu raciste et à une violation de l’intégrité territoriale du continent africain que se prêtent les médias et certaines puissances occidentales. En effet, en qualifiant ces révolutions de « printemps arabes » et en insistant la dessus, les puissants médias occidentaux sont entrain d’adresser à « l’inconscient collectif » et aux opinions publiques un message bel et bien raciste : « un arabe ne peut pas être un africain. Être africain c’est être noir. Mohamed Bouazizi n’est pas noir, donc il n’est pas africain ». Cela justifierait encore plus facilement l’appellation de révolutions arabes ou de printemps arabes. Puis, en qualifiant ces révolutions de printemps arabes, les puissants médias occidentaux sont entrains de participer à une violation de l’intégrité territoriale du continent africain. Ils véhiculent le message selon lequel « le Maghreb ne fait pas partie de l’Afrique. L’Afrique se limiterait donc à la frontière sud du désert du Sahara ». C’est d’ailleurs un message appuyé par les puissances occidentales qui se permettent de développer des projets particuliers, en dehors du cadre de l’Union Africaine, avec les pays africains du pourtour méditerranéen. Aidé par l’échec du projet d’intégration africaine de l’Union Africaine, ce message de distinction raciale et territoriale imposé par les médias occidentaux produit ses effets dans la mesure où la majorité des populations africaines du Maghreb sont souvent complexés de revendiquer la part africaine de leur identité. À ce titre, il serait important de souligner par exemple que certains pays africains du Maghreb sont d'ailleurs allés jusqu'à déposer leur candidature pour l'adhésion à l'Union Européenne. Des raisons de facilité économique peuvent certainement expliquer ce genre d'attitude, mais cela démontre encore une fois combien les pays du Maghreb nourrissent inconsciemment la fuite d'une certaine Afrique. En parvenant ainsi à complètement isoler les populations noires africaines d’évènements aussi historiques que ceux de ce début d’année 2011, non seulement cela justifie la continuation de leur « domination » et « l’exception noire africaine » dans les mouvements progressistes mondiaux, mais de plus, cela amène « inconsciemment » les populations noires africaines à accepter dans la fatalité, par elles-mêmes, leur état d’exception mondiale. Ainsi, pour les médias et les puissances occidentales, Mohamed Bouazizi n’est qu’un arabe. La fin du mythe de « la répression au nom de la lutte contre le terrorisme », de celui de « l’autoritarisme pour la stabilité et la croissance », et celui de « la primauté du pain » ne serait donc valable que pour les populations arabes du Maghreb. Surtout pas pour les populations noires africaines.
Finalement, s’il est vrai que c’est avant tout pour des intérêts économiques, mais nous réalisons que c’est surtout l’attachement des puissances occidentales à « l’idéologie chauviniste » occidentale qui explique, non seulement le fait que les deux "Mohamed Bouazizi" noirs du Sénégal passeront inaperçus, mais aussi, le fait que l’immense vague médiatique soulevé par le fils digne de Sidi Bouzid n’accompagnera pas et n’encouragera pas une "verticalisation" de la vague de révolution africaine entamée en ce début d’année 2011 au Maghreb.
IV-Conclusion
Tout au long de cette analyse, non seulement nous nous sommes mis dans la peau du fils digne de Sidi Bouzid pour comprendre les profondes motivations de son martyre, mais de plus, nous avons su mesurer la portée de la vague d’espoir qu’il a soulevé. En s’immolant par le feu, Mohamed Bouazizi à réussi à démystifier tous les mythes qui ont permis de justifier depuis près d’un demi-siècle la nécessité pour les puissances occidentales de soutenir des régimes répressifs, tyranniques et dictatoriaux en Afrique et dans le monde arabe.
Par ailleurs, en dépit du fait que nous avons pu démontrer le caractère purement africain de la vague révolutionnaire déclenchée à Sidi Bouzid, cependant, pour des intérêts économiques et des raisons d’attachement à « l’idéologie chauviniste » occidentale, nous avons dévoilé la subtile tentative d’usurpation par certains médias et puissances occidentales du caractère africain de ce digne, noble et historique mouvement révolutionnaire africain. Malgré le fait que les symboles de la révolution dessinent une "verticalisation" du mouvement, les puissants médias, certaines puissances occidentales et les tyrannies d’Afrique noire souhaitent plutôt s’en tenir à l’"horizontalisation" en espérant que la contagion n’atteindra jamais l’Afrique noire.
Par ailleurs, depuis le commencement de cette vague révolutionnaire, de solides arguments ont été avancés par d’éminents intellectuels sur les plateaux de télévision et les radios du monde entier pour, non seulement désenchanter les premiers à oser prédire une "verticalisation" du mouvement révolutionnaire, mais aussi, théoriser les raisons de « l’exception noire africaine » dans ce noble, digne et historique mouvement révolutionnaire. En plus des trois mythes solennellement sous-entendu que nous avons évoqué auparavant, la théorisation de « l’exception noire africaine » reposerait sur trois principaux arguments: le faible niveau d’éducation des populations noires africaines; la division ethnique des populations noires africaines; et la non maturité démocratique des populations noires africaines.
1-L’argument selon lequel les populations d’Afrique noire n’auraient pas atteint un niveau d’éducation suffisant pour développer une conscience révolutionnaire : c’est là un argument assez séduisant car il est bien connu de tous que la révolution ne peut fleurir que là où il a pu se développer une conscience révolutionnaire. Les populations tunisiennes et égyptiennes ont certainement démontré un niveau d’éducation et de conscience suffisant pour pouvoir engager la lutte révolutionnaire. Mais qu’est-ce qui amènent ces intellectuels à croire que les populations « d’Afrique noire » ne seraient pas suffisamment éduquées pour développer une conscience révolutionnaire à l’image des populations « d’Afrique blanche »? Mohamed Bouazizi est le profil type de la grande majorité de cette nouvelle génération de jeunes africains. Tous sont suffisamment éduqués pour percevoir les inégalités, comprendre la répression et la corruption, pouvoir s’organiser pour réclamer de manière pacifique leurs droits, et défendre leurs libertés. Pour illustrer cette réalité, il suffit tout simplement d’étudier l’insurrection populaire de janvier 2007 en Guinée. C’est une insurrection au cours de laquelle l’ensemble de la population à mené un bras de fer durant plus de 60 jours contre le régime militaire répressif du général Lansana Conté pour réclamer « Pain, Liberté et Démocratie! ». Les raisons pour lesquelles l’insurrection populaire n’aboutira pas à une révolution en Guinée sont à trouver ailleurs, mais certainement pas dans l’absence d’une quelconque conscience révolutionnaire collective. Ces exemples d’insurrections populaires pacifiques peuvent être multipliés en Afrique noire.
2-L’argument selon lequel les populations d’Afrique noire sont ethniquement divisées : à ce niveau, il y a deux manières d’aborder la question. Là où certains voient de la "division ethnique" en Afrique noire, d'autres perçoivent plutôt une "diversité ethnique". La division est sans aucun doute un frein considérable pour tout mouvement révolutionnaire, mais la diversité est une source de richesse inestimable. La colonisation a parfaitement bien utilisé la "diversité ethnique" en afrique noire, non pas pour valoriser les sociétés dominées, mais plutôt pour les diviser afin de pouvoir asseoir sa « domination ». Le principe « diviser pour régner » est bien connu. Les régimes tyranniques et dictatoriaux d’Afrique noire, qui sont souvent des clients des ex-puissances coloniales en vertu de « l’idéologie chauviniste » occidentale, en font aujourd'hui exactement le même usage de la "diversité ethnique" noire africaine. Il revient aux mouvements révolutionnaires d’en tenir compte. Mais, en Égypte aussi, malgré une longue culture du mythe de « la répression au nom de la lutte contre le terrorisme » qui à jeté un préjugé considérable contre les islamistes, malgré la série d’attentats contre les coptes d’Égypte en décembre 2010, seulement un mois après, coptes, musulmans et islamistes se sont tous retrouvés ensemble à la place « Tahir » pour réclamer « Pain, Liberté et Démocratie! ». De même, pour reprendre à nouveau l'exemple de l'insurrection populaire de janvier 2007 en Guinée, les raisons pour lesquelles cette insurrection n'a pas débouché sur une révolution au sens propre du terme résident ailleurs, mais surtout pas sur le fait de la formidable "diversité ethnique" guinéenne. Lors de ce soulèvement national, "soussous, malinkés, forestiers et peulh" ce sont tous levés comme un seul homme pour réclamer « Pain, Liberté et Démocratie! ». Donc, là où les conservateurs de « l’idéologie chauviniste » occidentale et leurs clients (les tyrannies d'Afrique noire) voient de la "division ethnique", les mouvements progressistes révolutionnaires voient une "diversité ethnique". Le mythe de la division pour dominer tombe sous nos yeux.
3-L’argument selon lequel les populations d’Afrique noire ne sont pas encore matures pour la démocratie : c’est l’argument le plus léger. Cet argument voudrait dire que l’instauration d’une démocratie doit absolument être précédée d’une parfaite appréhension par l’ensemble des citoyens des principes et du fonctionnement de la démocratie. Ceci est un argument erroné, non seulement au regard des grandes révolutions historiques, mais aussi, au regard de l’actualité. Sur le plan historique, la révolution française est le parfait exemple pour démentir cet argument. En effet, la révolution française est la période qui marque la fin de « l’Ancien régime » et le passage à une monarchie constitutionnelle, puis à la première République française. C’est cette révolution qui a légué à l’humanité la « Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ». S’il est vrai qu’à ses débuts la révolution française revêtait une forme de querelles de faveurs entre les membres de la "haute société" française (la cour royale, la noblesse, les privilégiés, le tiers état, les clergés, …) influencée par « les philosophes des lumières », cependant, la Bastille ne sera pas prise par une population courtoise et élégante imprégnée de principes démocratiques.
La Bastille, comme les campagnes françaises, sera prise par une populace révoltée contre la hausse des prix des denrées de premières nécessités, contre les inégalités, et contre les privilèges accordés à des couches spécifiques de la société française. La révolution française fut inspirée par les membres d’une "haute société" française influencée par « les philosophes des lumières », mais elle fut réalisée par des populations qui réclamaient « Pain, Liberté, Égalité et Fraternité! ». Les intellectuels éclairés de la "haute société" française, réuni au sein d’une Assemblée constituante, ont finalement proposé un « régime institutionnel démocratique » pour répondre aux aspirations populaires de « Liberté, Égalité et Fraternité ». Donc, il est bien évident qu’avoir une population parfaitement imprégnée des principes et du fonctionnement de la démocratie n’est aucunement une condition préalable à tout mouvement révolutionnaire. Partout dans le monde, la grande majorité des populations est dans l’ordre du ressenti (le pain, la liberté, l’égalité, la justice et la volonté de changement). C’est aux intellectuels éclairés qu’il revient le rôle de traduire les aspirations populaires dans des structures institutionnelles adéquates. Pour qu’il y ait une révolution, il suffit donc qu’il y ait un ressenti collectif et des intellectuels éclairés pour traduire ces ressentis en un mode institutionnel démocratique. Encore aujourd’hui, deux siècles après la révolution française, nul ne peut affirmer que tous les citoyens français comprennent parfaitement les principes et le fonctionnement de la démocratie française. Aujourd’hui, avec les structures institutionnelles de la cinquième république, les populations françaises ne ressentent tout simplement plus de grandes inégalités, de grandes injustices, et une volonté de changement radicale.
Encore sur le plan historique, nous pouvons citer l'exemple Sud-africain. Durant la lutte contre le régime raciste et oppressif de l'apatheid, nul ne peut affirmer que les noirs d'Afrique du Sud étaient impreignés de valeurs démocratiques, ni même qu'ils avaient tous le niveau doctorat en philosophie ou en sicence sociale. Cependant, non seulement ils étaient suffisament éduqués pour savoir que l'apartheid était un régime injuste, mais de plus, ils ont su s'organiser pour lutter contre cette violente injustice. Au sortir du processus de réconciliation, les sud-africains offriront au monde l'une des Constitutions les plus démocratiques qui puisse être. Enfin, au regard de l’actualité, quelques soient la maturité et le niveau d’éducation des populations tunisiennes et égyptiennes, nul ne peut affirmer que Mohamed Bouazizi et les jeunes de la place "Tahir" sont parfaitement imprégnés des principes et du fonctionnement de la démocratie. Ce dont nous avons la parfaite certitude est qu’ils partagent tous les mêmes ressentiments « d’injustice, d’inégalité et de misère ». Et ils ont fait la révolution aux cris de « Pain, Liberté et Démocratie! ». Pour reprendre enfin l’exemple de l’insurrection populaire de janvier 2007 en Guinée, si cette insurrection n’a pas finalement abouti en une révolution, c’est beaucoup moins à cause d’une non compréhension des principes démocratiques par la populace qu'à cause d'un manque total d’intellectuels décolonisés, courageux et éclairés pour traduire le ressenti collectif en un mode institutionnel démocratique compatible à la société guinéenne.
Finalement, nous nous rendons facilement compte que même les trois principaux arguments de la théorie de « l’exception noire africaine » employés par certains éminents intellectuels sur les plateaux de télévision et les radios du monde ne sont que des arguments employés pour expliquer, non pas pourquoi il n’y aura pas de "verticalisation", mais plutôt, pourquoi les conservateurs de « l’idéologie chauviniste » occidentale et leurs clients (les dictateurs et tyrans) ne souhaitent pas une "verticalisation" du mouvement révolutionnaire.
De nos jours, à part l’attachement à cette « idéologie chauviniste » occidentale, aucun argument morale, aucune théorie sociale et aucun mythe ne peut justifier un quelconque soutient des puissances occidentales aux régimes tyranniques, qu’ils soient « d’Afrique blanche » ou « d’Afrique noire ». Même les raisons économiques ne tiennent plus debout pour justifier le soutient des puissances occidentales aux régimes tyranniques. Les intérêts économiques des puissances occidentales ne sont pas incompatibles avec la liberté des peuples opprimés car aucun peuple ne rêve du modèle "communiste" ou "islamiste". La grande avarice médiatique des puissants médias ne peut que retarder la "verticalisation" du mouvement révolutionnaire. En plus du sort commun, la globalisation, l’instantanéité de l’information, la rapidité de circulation de l’information, le phénomène du citoyen-journaliste et le phénomène des réseaux sociaux (facebook, twitter et google) sont autant d’aimants qui rapprochent les peuples de « l’Afrique blanche » et de « l’Afrique noire ». La vague révolutionnaire soulevée par le fils digne de Sidi Bouzid s’abattra inéluctablement sur l’Afrique sub-saharienne. Les deux "Mohamed Bouazizi" noirs du Sénégal nous le confirment éloquemment. Et pas seulement, l’ensemble des populations d’Afrique sub-saharienne, comme ceux du Maghreb, bouillonnent d’espérance et aspirent aujourd’hui à beaucoup plus que du simple "pain". Cette fois ils aspirent tous « à du pain, à la liberté et à la démocratie ».
Après la gigantesque crise financière et économique de 2008 aux conséquences sociales très amères, la formidable vague révolutionnaire noble, digne et historique de ce début d’année 2011 devrait pouvoir convaincre les puissances occidentales à définitivement renoncer à la vieille « idéologie chauviniste » et à tout « reflexe de domination » des peuples. Depuis le soulèvement de cette vague révolutionnaire, en plus d’être galvanisé par l’immense message d’espoir adressé par le fils digne de Sidi Bouzid, nous, les peuples opprimés d’Afrique, découvrons ce que la communauté occidentale peut offrir de meilleure. Nous voyons les USA, le Canada, et l’Europe défendre leur valeur de liberté, d’égalité, de justice et de démocratie. Nous voyons la communauté occidentale aux côtés des peuples en marche au nom des mêmes valeurs de liberté, d’égalité, de justice et de démocratie. Nous souhaitons que la communauté occidentale reste à son meilleur et qu'elle ait la force de faire tomber le MUR du « chauvinisme » pour faire place au respect mutuel. Les peuples africains ne sont pas condamnés à rester indéfiniment sous domination. Les tyrannies et les dictatures tomberont une à une (souvent à la fois) pour faire place à des régimes démocratiques dont le pouvoir sera véritablement exercé au nom des "peuples libérés" par des "peuples libres" et pour les "peuples libres". Après tout, les rapports entre pays libres, souverains et démocratiques sont plus sains, plus stables et plus durables. Les rapports entre peuples libres et interdépendants sont les plus dignes de notre civilisation moderne.
La Cellule de Réflexion de la LDRG
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