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TÉLÉCHARGER LE RAPPORT COMPLET EN FICHIER PDF: LE RAPPORT

À l’introduction de la section consacrée à la Guinée du plus récent « International Narcotics Control Strategy Report » des États-Unis publié en mars 2013, il est mentionné : « La Guinée est un point de départ transfrontalier pour la cocaïne et l’héroïne. À partir de la Guinée-Bissau, les trafiquants fournissent à la Guinée des équipements pour l’emballage et le transport de la cocaïne et de l’héroïne vers les États-Unis, l’Europe et l’Asie de l’Est ». À elle seule, cette déclaration de l’organe le plus informé et le plus à cheval au monde dans la lutte contre la production, le trafique et la consommation de drogue est une alerte maximale qui devrait mobiliser tous les efforts nationaux en Guinée. Pour comprendre en quoi cette déclaration est une alerte maximale à prendre très au sérieux en Guinée, dans la première section de ce papier, nous allons essayer de comprendre et de situer la place qu’occupe la Guinée dans la chaîne du trafique international de drogue; puis, dans la seconde section, nous allons souligner les conséquences sociales et économiques que ce trafique représente pour un État fragile comme la Guinée; et enfin, dans la dernière section, nous allons mettre en avant les mesures immédiates à entreprendre pour définitivement détourner la menace imminente du narcotisme d’État de la Guinée.

 

Le trafique de drogue est à lui tout seul une gigantesque économie qui obéit à ses propres mécanismes. Pour se rendre compte de l’ampleur du phénomène dont nous parlons dans ce papier, rien de plus que de s’approprier du chiffre d’affaires que représente la drogue. En effet, le chiffre d’affaires du trafique de drogue se situe aujourd’hui aux alentours de $1000 milliards par an. Dans ses chiffres de 1995, l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (UNODC) avait déjà estimé à $400 milliards le chiffre d’affaires du trafique de drogue dans le monde. Ce chiffre représentait à lui seul 8% du commerce international. Il était plus élevé que les échanges internationaux de fer et d’acier qui ne représentaient que 2,8% du commerce mondial. Il était aussi plus élevé que les échanges de véhicules automobiles qui ne représentaient que 5,3% du commerce mondial. Il était même autant élevé que le commerce international des textiles (7,5%), de l’huile et du gaz (8,6%) et du tourisme mondial. En 1995 déjà le trafique de drogue était 6 fois plus important que le total des sommes dépensées pour l’aide publique au développement ($69 milliards).

 

Lorsqu’on parle du trafique de drogue, il est donc très important de commencer par se saisir de ces chiffres pour se rendre compte à quel point un quelconque État pris dans le rouleau compresseur de ce vaste trafique sera tout simplement roulé dans les feuilles d’un cigare et soufflé dans les flammes de l’enfer. Dans ce papier, nous faisons bien entendu allusion au trafique d’opium, de morphine, d’héroïne, de cocaïne et d’amphétamine.

 

I-Comprendre la chaîne du trafique international de drogue et savoir situer la Guinée

 

Le trafique de drogue comprend 3 principales phases : la production, la distribution et la consommation. Dans la présente section du papier nous allons surtout mettre l’accent sur les phases de production et distribution où la Guinée joue un rôle continental de plus en plus important. Quant à la phase de consommation, nous allons la traiter implicitement tout au long du papier dans la mesure où, même si la consommation de cocaïne augmente en Guinée, mais la Guinée n’est pas encore l’une des destinations finales pour ces stupéfiants.

 

1-La production : les drogues dont nous faisons allusions dans ce papier ont deux principales caractéristiques : premièrement, elles sont toutes adductives, ce qui crée un amalgame permanent entre « utilisation et abus » ou entre « consommation et dépendance »; deuxièmement, ces drogues se distinguent par un faible volume et un prix par unité extrêmement élevé dont les consommateurs n’hésiteraient pas à payer pour se procurer le produit. Avec ces deux caractéristiques, le trafique de drogue devient donc un marché très lucratif avec une demande sans cesse en augmentation. Parce que c’est un trafique très lucratif, alors, pour les narcotrafiquants et les cartels de la drogue, le jeu en vaut la chandelle : il faut en produire autant que possible. Les drogues dont nous faisons allusion dans ce papier sont produites dans plusieurs régions, mais les lieux les plus localisés de production se situent : en Colombie, au Mexique, au Pérou, en Bolivie, au Venezuela, en Afghanistan, au Pakistan, en Iran, au Thaïlande, au Laos, au Liban, et dans certains pays de l’Asie du Centre.

 

À cette phase de la chaîne du trafique de drogue, la Guinée ne joue pratiquement aucun rôle. En Guinée il serait possible de retrouver quelques petites poches de plantations de Marijuana, mais même pour cette dernière drogue dite « légère », la grande majorité de la consommation guinéenne provient de la Sierra-Leone voisine.

À la phase de production, le grand défi des narcotrafiquants consiste à acheminer leur production vers leur marché de consommateurs qui sont principalement les États-Unis, l’Europe, et les pays de l’Asie. Cependant, vue que ces stupéfiants sont des produits illicites assujettis à de très fortes restrictions d’échange et de circulation, alors vient la nécessité pour les narcotrafiquants et les cartels de la drogue de créer un trafique organisé pour acheminer leur produit : c’est la phase de distribution.

 

2-La distribution: la phase de distribution est le relaie indispensable entre la production et la consommation des stupéfiants. Cette phase de distribution est aussi de loin la phase la plus lucrative du cycle du trafique. Plus de 90% de la valeur ajoutée de la cocaïne et de l’héroïne est générée dans la phase de distribution. Selon les chiffres de 1991, par exemple, 1 gramme de cocaïne pur était vendu au détail à $4,30 en Colombie. Du fait de l’acheminement (distribution) du stupéfiant de la Colombie vers les États-Unis, déjà en 1991, le prix de vente final de ce gramme de cocaïne pouvait atteindre 297$ aux États-Unis.

 

Par ailleurs, il existe plusieurs modèles de distribution qui divergent selon : le niveau d’activité (si les trafiquants sont des grossistes, des intermédiaires ou des détaillants), le niveau d’organisation (si les trafiquants ont du personnel recruté, des services spécialisés, une intégration verticale), le type de stupéfiants commercialisés (marijuana, cocaïne, héroïne, ou d’autres types de stupéfiants), l’existence d’une alliance entre trafiquants et groupe rebelles ou terroristes, et la manière dont les groupes organisés concourent pour le contrôle des parts de marché.

 

Ces dernières années, l’Afrique de l’Ouest s’est particulièrement distinguée comme un pôle important de distribution de cocaïne et d’héroïne vers l’Europe. En effet, autant l’adduction des États-Unis à la drogue a fortement déstabilisé les pays de l’Amérique centrale, autant la demande croissante de cocaïne en Europe expose l’Afrique de l’Ouest à de fortes pressions de la part des cartels de la drogue Latino-américains. Selon Office des Nations Unies contre les Crimes et les Drogues (UNODC), la demande de cocaïne en Europe à triplé au cours des dernières années. Les plus récentes estimations évaluent entre 60 tonnes et 250 tonnes la quantité de cocaïne ayant transité en Afrique de l’Ouest, soit une valeur totale comprise entre $3 milliards et $14 milliards. En 2009, une quantité de drogue de plus de $1 milliard a transité seulement en Guinée-Bissau. Plutôt dans la même année, il apparaît que l’assassinat du président Joas Bernardo Vieira de la Guinée-Bissau est lié à un conflit entre les cartels du trafique de cocaïne. Durant la même année, une unité d’investigation des Nations Unies a retrouvé dans un lac asséché du Mali des traces de cocaïne au milieu du fuselage carbonisé d’un Boeing 727. Ce petit cargo avait une capacité d’empilement de 10 tonnes de cocaïne, soit une valeur de $580 millions. Quant au Ghana, plus tard dans la même année 2009, il a extradé aux États-Unis trois trafiquants de cocaïne Maliens ayants des liens avec l’organisation terroriste Al-Qaeda. En parlant du Mali, en janvier 2008, suite à une opération ayant provoquée des fusillades, des officiers Maliens ont saisi 750 kilogrammes de cocaïne. Cette seule saisie représentait 36% de l’ensemble du budget annuel de l’armée malienne. De la même manière, 350 kilogrammes de cocaïne ont été saisi au Benin en août 2007, ce qui représente le salaire annuel de 31000 Béninois. Toutes ces quantités de drogues (sans mentionner le Nigéria), quittent l’Amérique centrale et latine dans des embarcations de contenaires, de bateaux yachts, et de petits avions. Ces stupéfiants sont par la suite livrés aux trafiquants locaux au Ghana, en Guinée-Bissau, au Mali, au Nigéria et en Guinée. Ce sont ces pays qui ont été identifiés par l’Office des Nations Unies Contre les Crimes et les Drogues (UNODC) comme étant le pôle sous-régionale du trafique de cocaïne en Afrique de l’Ouest. Finalement, la cocaïne est transférée dans les pays voisins avant d’être emballés et introduit dans les circuits de distribution vers l’Europe.

 

Lorsque, dans ce contexte que nous venons de décrire, nous lisons dans le plus récent « International Narcotics Control Strategy Report » des États-Unis publié en mars 2013 que « … la Guinée est un point de départ transfrontalier pour la cocaïne et l’héroïne »; et qu’à partir de la Guinée-Bissau « les trafiquants fournissent à la Guinée des équipements pour l’emballage et le transport de la cocaïne et de l’héroïne vers l’Europe … », alors cela nous donne une première idée du niveau avancé de la Guinée dans l’organisation et l’intégration à la chaîne du trafique transfrontalier de cocaïne entre l’Amérique Latine et l’Afrique de l’Ouest. En effet, la Guinée est loin d’être en reste dans ce phénomène. L’ampleur du trafique de cocaïne en Guinée s’est notamment illustré en 2007 et 2009 par l’atterrissage d’avions contrebandiers porteurs de cocaïne dans la région de Boké, en Basse côte. De même, les descentes effectuées en 2009 par les services du Conseil National pour la Démocratie et le Développement (CNDD) au sein de laboratoires de fabrication, ainsi que la saisie de produits toxiques destinés au raffinement de la cocaïne, dévoile l’ampleur du phénomène en Guinée. Les îles côtières de Kassa sont le nid du trafique de cocaïne en Guinée. Il apparaît dans le même rapport du « International Narcotics Control Strategy Report » que la Guinée est devenue un sanctuaire pour des trafiquant venant d’Amérique Latine, de l’Afrique du Sud et de la Guinée-Bissau. Le cas le plus spectaculaire et le plus symbolique de l’ampleur du trafique de drogue en Guinée fut l’arrestation du fils du président défunt qui a reconnu en février 2009 sur les antennes publiques que, non seulement il est impliqué dans le trafique, mais de plus, il fait partie d’un réseau structuré plus large. Cependant, l’influence des groupes narcotique est ci-forte en Guinée que, comme fut assassiné le président Joas Bernardo Vieira de la Guinée-Bissau en mars 2009, le président du CNDD, très à cheval dans le démantèlement du trafique de drogue en Guinée, subira aussi, en décembre 2009, une tentative d’assassinat qui l’affaiblira et provoquera la marginalisation du CNDD. Finalement, malgré qu’il soit également identifié par la Maison Blanche (États-Unis) comme le parrain du trafique de cocaïne en Guinée, et que ces avoirs aux États-Unis soient gelés, le fils du président défunt ayant reconnu publiquement son implication dans le trafique de cocaïne sera libéré de prison en 2010 sans encombre. Au cours de la même année, les deux douzaines de bâtiments appartenant à des narcotrafiquants qui furent saisis par les services du CNDD seront finalement restitués aux trafiquants.

 

Alors que les services du CNDD avait réussi à déstabiliser la structure du trafique en Guinée, c’est depuis la relâche en 2010 des barons du trafique de cocaïne arrêtés en 2009, conjugué à la fin de l’élection présidentielle de 2010 et la forte pression internationale exercée sur la Guinée-Bissau, que le trafique est reparti de plus belle en Guinée. Depuis lors, il a été rapporté un nombre de plus en plus élevé de saisies de cocaïnes en Guinée. Également, les saisies de cocaïne à l’international dont la traçabilité ramène à la Guinée sont de plus en plus importantes. Des officiers guinéens rapportent que des avions transportant des stupéfiants ont depuis lors atterrit à nouveau, non seulement à Dinguiraye, mais aussi, à l’Aéroport international de Conakry. Il apparaît finalement dans ce même rapport que, pour protéger le trafique, les narcotrafiquants ont soudoyé et impliqué dans le trafique plusieurs acteurs politiques, acteurs publics, magistrats et officiers supérieurs de haut niveau en Guinée. Ces faits sont d’autant plus crédibles qu’il est utile de souligner que le fils du président défunt libéré de prison en 2010 était aussi un haut gradé de l’armée guinéenne avec un bataillon de béret rouge à ses ordres. C’est ainsi que, le 31 janviers 2014, on lisait à la Une de journaux très crédibles (« Reuters » et « Business Insider ») ceci : « Une flambée de trafique de cocaïne fait de la Guinée le nouvel narco-État de l’Afrique de l’Ouest ».

 

II-Les conséquences économiques, sociales et démocratiques du trafique de drogue pour la Guinée

 

Avec l’ampleur et la position importante que la Guinée occupe dans le niveau d’organisation régional du trafique de cocaïne, il serait difficile de ne pas imaginer les conséquences économiques et sociales de ce phénomène pour la Guinée.

 

1-Les conséquences économiques : le raisonnement le plus court que les trafiquants et contrebandiers arborent souvent pour justifier leurs activités illicites est de dire que « le trafique de drogue est une bonne affaire lucrative qui permet de réduire la misère de plusieurs familles ». Mais en réalité, ce trafique, s’il se pérennise, il devient un cancer pour une société et une économie.

 

D’abord, même si la destination finale de la cocaïne et de l’héroïne ne sont pas réellement la Guinée, cependant, du simple fait que le stupéfiant transite en Guinée, cela encourage et stimule la consommation locale. En Guinée, cette consommation locale de cocaïne affecte particulièrement les jeunes compris entre l’âge de 15 à 35 ans, ce qui devrait être la main d’œuvre la plus active du pays. Avec des taux de chômage de l’ordre de 60% dans cette même tranche d’âge, il est déjà très difficile pour les jeunes guinéens d’avoir un travail. Du fait de la frustration du chômage, ces jeunes se rabattent donc facilement à la consommation et au trafique de toutes sortes de drogues. Créant ainsi un cercle vicieux qui éloigne toute une génération de jeunes guinéens du marché du travail. La première conséquence économique du trafique de cocaïne et de l’héroïne en Guinée est donc, non seulement de rendre accro la jeunesse guinéenne à des drogues dures, mais aussi, de priver l’économie guinéenne d’une main d’œuvre jeune et vivante. Cela entraîne une stagnation du taux de chômage des jeunes à des niveaux élevés et empêche  ainsi un renouvellement normal des générations au niveau du marché du travail en Guinée.

 

Puis, sur le plan économique, le trafique de drogue pose un second problème à l’économie guinéenne : le blanchiment de la quantité d’argent salle générée par le trafique. Pour faire court, nous pouvons dire que le blanchiment consiste pour les trafiquants à réintroduire les sommes d’argent qu’ils ont généré suite à la vente de leurs produits illicites dans l’économie formelle. En Guinée, pour blanchir leur magots, les trafiquants investissent dans l’immobilier (le CNDD avait saisie plus de deux douzaines d’immeubles en 2009), l’importation de produits de luxe (voiture, bijoux,…), l’alcool, la prostitution, et finalement la corruption politique et l’achat d’armes. L’achat d’armes est le lien qui rattache généralement les trafiquants et certains politiciens. Ces deux derniers éléments sont particulièrement déstabilisant pour un pays comme la Guinée, car il devient facile pour n’importe qui, non seulement de monter une rébellion armée avec l’argent de la drogue, mais aussi, de diriger le pays sans aucune légitimité démocratique et populaire : faisant ainsi de la Guinée un véritable narco-État. Sommes toutes, pour un pays fragile comme la Guinée, le blanchiment de l’argent de la drogue s’avère être une surenchère vicieuse et déstabilisatrice. Il est utile de souligner dors-et-déjà que la Guinée figure sur la liste des pays « très risqués » en matière de blanchement d’argent de Interpol.

 

La troisième et dernière conséquence économique du trafique de drogue pour la Guinée concerne la gouvernance macroéconomique. En effet, pour un pays comme la Guinée qui a besoin de grandes réformes budgétaires et économiques, si une importante part de l’argent qui circule dans l’économie n’est pas dans les radars des institutions qui pilotent la politique monétaire et économique, alors tous les efforts pour redresser l’économie guinéenne seront vains. Ces efforts seront vains car il y aura toujours des forces informelles qui empruntent le sens inverse des politiques économiques et monétaires. Provoquant ainsi de l’inflation où il ne devrait pas, ou entraînant un assèchement de l’épargne collective sans contrepartie réelle. Pour un pays comme la Guinée avec une situation économique aussi précaire, le trafique de drogue est donc un élément supplémentaire qui complexifie l’équation de la stabilisation économique et financière du pays.

 

2-Les conséquences sociales : il n’est pas un secret que d’affirmer que le trafique de drogue est une activité nuisible pour toute société. Cependant, lorsque ce trafique prend une ampleur aussi importante comme celle observée ces dernières années en Guinée, alors il devient destructeur pour la société.

 

      D’abord, sur le plan familiale et communautaire : il y a une relation évidente entre la désintégration du socle familiale et la consommation de cocaïne. La société guinéenne est une société pluriethnique dont les valeurs traditionnelles sont fondées autour de la famille et de l’autorité parentale. Depuis ces 15 dernières années, certes l’urbanisation et l’ouverture au monde extérieur ont eu un impact sur les valeurs traditionnelles de la société guinéenne, cependant, le trafique et la consommation progressive de drogue ont surtout tendance à détruire le pacte familiale. Lorsque dans une famille l’un des enfants est accro à la consommation de drogue, c’est toute la famille qui s’en trouve déséquilibrée culturellement  et financièrement. Aujourd’hui, chacune des familles guinéennes se meurt du fait que l’un des enfants est perdu dans le trafique ou la consommation de drogue. Rares sont les familles qui survivent de ces déséquilibres car, dans la majorité des cas, elles se retrouvent totalement désintégrées. Et lorsque le trafique et la consommation de drogue prend l’ampleur qu’elle a prise en Guinée depuis ces 15 dernières années, l’effet destructeur est encore plus important. Toutes les observations convergent sur ce point en Guinée : les repères traditionnels sont détruits et remplacés par des comportements très étrangers à nos mœurs et coutumes. La cocaïne n’est donc pas qu’une affaire de trafique pour la Guinée, pour le temps qu’elle transite sur nos terres, elle vient voler nos enfants, briser nos familles et détruire ce que nous avons de plus précieux : nos coutumes, nos valeurs, et notre identité nationale.

 

      Puis, sur le plan de la santé individuelle et publique : pour se rendre compte des conséquences alarmantes du trafique et de la consommation de la drogue sur le plan de la santé individuelle et publique, il suffit de se rendre dans les centres psychiatriques de Conakry, dans les lits des hôpitaux en Guinée, dans nos écoles, ou même dans les rues où des fous, de plus en plus nombreux, se promènent en mendiant le prix d’une nouvelle dose. Les conséquences sont dévastatrices, non seulement pour les familles qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts, mais aussi pour la santé publique guinéenne dont le budget arrive à peine à suffire pour lutter contre le choléra ou le paludisme. De plus, la consommation de drogue, plus particulièrement de l’héroïne, comme partout ailleurs, est aussi un facteur qui contribue considérablement à l’augmentation de certaines maladies en Guinée, telles que le VIH/SIDA. Ainsi, sur le plan de la santé individuelle, non seulement le trafique et la consommation de la drogue viennent ravager toute une génération de jeunes guinéens, mais de plus, ce trafique vient exercer une forte pression sur les dépenses en santé publique d’un pays dont les infrastructures sanitaires sont à peine suffisantes pour endiguer des maladies primaires telles que le choléra.

 

      Enfin, la corruption, la violence et les crimes organisés sont inhérents au trafique de drogue : le trafique de drogue augmente toutes les formes d’activités criminelles. Pour se procurer le prix des stupéfiants, du fait de leur adduction aux drogues, les consommateurs sont prêts à tout. Ils sont beaucoup plus enclins à se lancer dans le vol ou la prostitution. En Guinée, les vols à mains armées, le grand banditisme, les assassinats et la prostitution sont devenus monnaie courante depuis ces 15 dernières années. La culture de la violence s’est véritablement instaurée, non seulement du côté de l’État qui n’hésite plus à réprimer sans retenue les populations, mais aussi, dans les écoles où de jeunes élèves, sous l’emprise des stupéfiants, défient l’autorité des enseignants et sèment la terreur. De toute l’histoire de la Guinée, il a fallu attendre les mouvements sociaux de 2006, 2007 et 2009 pour connaître des répressions qualifiables de crimes contre l’humanité. Quant au grand banditisme, le « procès des gangs » n’a en fait jamais clôturé le climat de frayeur et de psychose instauré depuis 1994 en Guinée. Aucune famille guinéenne n’est à l’abri de gangs qui opèrent en armes de guerres et en tenues militaires. Toute cette violence et tous ces crimes ont comme trame de fond un phénomène beaucoup plus diffue dans la société guinéenne : c’est la corruption. En effet, pour protéger les cargaisons de cocaïne et d’héroïne, au lieu de les faire accompagner par des gardes armés jusqu’aux dents et à la gâchette facile, les trafiquants préfèrent corrompre les politiciens, les magistrats, les officiers de l’armée et les agents de police pour qu’ils ferment les yeux sur le trafique. Ce sont de grosses sommes d’argents qui sont distribuées aux plus hautes personnalités publiques. Voilà comment le fils de l’ex-président de la république est devenu le parrain du trafique de cocaïne en Guinée. Le plus récent rapport des services États-Uniens mentionnent que les nouvelles plus hautes autorités gouvernementales et militaires guinéennes ont à nouveau repris du service dans le trafique. Le trafique de cocaïne exacerbe considérablement le phénomène de la corruption en Guinée. Voilà deux années consécutives que la Guinée est classée par l’organisation Transparency International comme le pays le plus corrompu en Afrique de l’Ouest. Et l’assassinat en novembre 2012 de Mme Boiro, responsable et directrice du trésor public, qui s’efforçait à mettre un terme à un vaste de réseaux de corruption au niveau de la Banque centrale, en dit long sur l’ampleur du phénomène de la corruption en Guinée. Plus récemment, lors de sa tournée en Afrique de l’Ouest, Roland Noble, le Secrétaire général de Interpol n’a pas manqué de souligner aux autorités sous-régionale ses grandes inquiétudes, non seulement du fait de la sophistication des banques criminelles en action dans la zone, mais aussi, au fait que l’Afrique de l’Ouest est devenue un sanctuaire des cartels de drogue latino-américains. 

 

III-Agir urgemment pour protéger la jeunesse et les institutions républicaines

 

Selon toute vraisemblance, au vue de la place que la Guinée occupe désormais dans la chaîne du trafique de cocaïne, au vue des conséquences socioéconomiques du phénomène et de son emprise sur les plus hautes autorités publiques, il est d’une évidence déconcertante d’affirmer que « il existe aujourd’hui un État parallèle en Guinée qui est sur le point de se substituer aux institutions républicaines ». C’est la phase ultime avant que la Guinée ne franchisse la ligne du non-retour et devienne définitivement un véritable narco-État. C’est donc le moment ou jamais d’agir.

 

1-Agir pour briser le momentum du trafique dès maintenant : selon les experts de lutte contre les réseaux narcotiques, alors que le trafique de cocaïne est en phase de maturation en Afrique de l’Ouest, quelques rares opportunités existent encore pour freiner son expansion. Il faut absolument freiner son expansion car dès que le réseau domine la société et les institutions, il sera pratiquement impossible, à l’image des certains pays latino-américain, de sortir du cycle de violence, des crimes organisés et de corruption qu’il entraîne.

 

La lutte contre les réseaux narcotiques ne peut cependant être efficace si elle nest entreprise que de manière isolée par chaque pays. C’est ainsi que, face à l’ampleur du phénomène, en Octobre 2008, les pays de la CEDEAO ont mis en place un plan d’action commun en 5 points pour lutter contre ce phénomène : la collecte et le partage de données; le renforcement de la législation contre la trafique de drogue; l’application stricte de la loi par les autorités compétentes; la prévention contre les abus de consommation de drogue; et enfin un soutient politique et budgétaire aux organismes en charge de la lutte contre le trafique de drogue. De même, en Octobre 2012 sept pays de la sous-région se sont réunis durant deux jours à Conakry pour discuter de la meilleure manière de lutter contre le trafique de cocaïne. Si seulement le plan d’action en 5 points et les initiatives issues de la rencontre de Conakry était scrupuleusement appliquées, le trafique de cocaïne aurait été totalement brisé en Afrique de l’Ouest. Mais la réalité est toute autre. La corruption endémique empêche toutes ces initiatives régionales de tenir debout. En Guinée par exemple les autorités compétentes ne disposent même pas d’ordinateurs pour enregistrer les données des crimes ou des saisies, à plus forte raison la capacité de garantir un contrôle frontalier efficace.

 

C’est à ce niveau que la Guinée doit reprendre le leadership régional en matière de lutte contre le trafique de drogue. Il s’agit :

 

      D’abord d’aligner la législation nationale sur les législations les plus répressives en la matière, y inclure notamment « la détention en prison ferme de tout trafiquant arrêté jusqu’au verdict de la justice ». De même, « frapper d’inéligibilité permanente et de radiation définitive de la fonction publique tout élu, tout fonctionnaire, tout policier ou tout officier de l’armée inculpé dans une affaire de trafique de drogue »;

 

      Puis, vue qu’il est impossible de lutter efficacement contre le trafique de drogue dans un environnement où règne la corruption, alors il s’agit d’engager parallèlement une lutte farouche contre la corruption à tous les niveaux des structures institutionnelles en Guinée. Cet engagement de lutte contre la corruption pourrait se manifester par l’application de la Résolution finale de la Concertation Non-Partisane de Montréal qui s’est tenue le 29 Septembre 2012. Cette résolution compte 8 principales mesures anti-corruption qui, si elles sont mises en application, inverseront inéluctablement la tendance en matière de lutte contre la corruption en Guinée;

 

      Finalement, doter les organisations de la société civile guinéenne des outils et des moyens nécessaires afin qu’elles puissent jouer un rôle majeur en matière de prévention contre la consommation et la participation au trafique de drogue.

 

Lorsque le momentum dans la lutte contre le trafique de drogue prend de l’allure, c’est en ce moment qu’apparaîtra la nécessité, grâce à l’agence nationale anti-drogue, de démanteler les ramifications des réseaux narcotiques en Guinée.

 

2-Agir pour renforcer l’intégrité et les pouvoir de l’agence anti-drogue : L’année symbolique à retenir dans la lutte contre le narco-trafique en Guinée est l’année 2008. C’est en fin d’année 2008 que le Conseil National pour la Démocratie et le Développement (CNDD) a créé l’Agence centrale Anti-drogue directement rattachée à la présidence de la république. Au cours des ses deux premières années d’activités, l’Agence centrale anti-drogue fut très active en Guinée. Elle s’est notamment illustrée par la mise aux arrêtant de grands bonnets du trafique de cocaïne, par la saisie d’immeubles et de biens de trafiquants, et en brisant totalement les flux de cocaïne qui transitaient par la Guinée. Au cours de ces deux premières années, l’Agence centrale anti-drogue bénéficiait également d’un soutient financier reflétant la priorité que la CNDD accordait à la lutte contre le trafique de drogue en Guinée.

 

Cependant, depuis la tentative d’assassinat du président du CNDD en décembre 2009 et sa marginalisation dans la gestion de la transition, l’Agence centrale anti-drogue s’est également vue marginalisée. Les responsables de l’Agence se sont vus décrédibilisés, l’agence à vue son financement s’assécher et ses pouvoirs réduits, et la coopération judiciaire a cessé. Le symbole le plus frappant de la marginalisation de l’Agence centrale anti-drogue fut la relâche, en 2010, du fils du président défunt qui était pris dans les filets de l’agence et qui avait pourtant reconnu être l’un des barons du narco-trafique en Guinée. Au cours de la même année, les deux douzaines de bâtiments appartenant à des narcotrafiquants qui furent saisis par les services du CNDD seront restitués aux trafiquants. Finalement, en inculpant le chef de l’Agence centrale anti-drogue de crimes contre l’humanité en relation avec les répressions militaires de septembre 2009, on a ainsi réussi à priver l’agence de toute coopération avec les instances internationales à cheval sur la lutte contre le narco-trafique. En Guinée, c’est ainsi que l’Agence centrale anti-drogue fut totalement dépouillée de ses pouvoirs, décrédibilisée, et marginalisée.

 

La lutte contre les réseaux de narcotrafiquants en Guinée nécessite un bras armé crédible, intègre et doté des moyens d’agir : c’est l’agence anti-drogue. L’expérience du CNDD en matière de lutte anti-drogue nous enseigne que, malgré l’état d’infiltration et d’implication du narco trafique dans les hautes sphères des administrations politiques, judiciaires, policières et militaires, il est tout de même encore possible de trouver des « officiers propres » en Guinée. Cela suscite un grand espoir pour le succès de la lutte anti-drogue en Guinée.

De ce fait, une nouvelle politique sérieuse de lutte anti-drogue doit absolument se manifester par :

 

      La mise à l’écart de tous les dirigeants actuels de l’agence anti-drogue accusés ou inculpés de crimes contre l’humanité : non seulement cela permettrait d’insuffler du sang neuf et de nouveaux objectifs à l’agence, mais de plus, cela permettrait surtout de relancer les partenariats stratégiques avec les acteurs internationaux de lutte contre la drogue. Tant que des personnes inculpés de crimes contre l’humanité sont à la tête de cette agence, de grands acteurs de lutte contre le trafique de drogue, notamment les États-Unis et l’Union Européenne, ne pourrons pas collaborer efficacement avec la Guinée;

 

      Accorder un statut légal et institutionnel à l’agence anti-drogue : il s’agit de concéder un espace permanent à l’agence dans le schéma institutionnel guinéen. Cette institutionnalisation de l’agence anti-corruption consolidera les pouvoirs de l’organe et lui garantira une certaine autonomie dans ses décisions et actions. Par ailleurs, en lui concédant un statut légal et institutionnel, l’agence anti-drogue aura obtenu suffisamment de responsabilités pour devoir, non seulement annoncer son plan d’action annuel, mais aussi et surtout, rendre des comptes devant le Parlement de ses actions. Cela fera toute la différence en matière de lutte contre le narco-trafique en Guinée;

 

      Assurer l’autonomie financière de l’agence anti-drogue : cette autonomie financière doit se manifester par la possibilité pour l’agence anti-drogue de dresser chaque année son budget de fonctionnement lui permettant d’atteindre ses objectifs. Le gouvernement devra absolument inclure le budget de l’agence dans la loi de finance annuelle sans aucune modification. Si des réajustements doivent intervenir, c’est seulement au sein du Parlement que ces réajustements doivent intervenir. Cette autonomie financière de l’agence anti-drogue renforcera à la fois son indépendance par rapport aux jeux politiques et son incorruptibilité vis-à-vis des réseaux narcotiques.

 

En renforçant ainsi les pouvoirs et l’intégrité de l’agence anti-drogue, alors la Guinée se serait dotée d’un bras armé efficace et prêt à affronter les réseaux narcotiques en Guinée.

 

3-Agir pour faire de Conakry le quartier général de la lutte contre le narco-trafique en Afrique de l’Ouest : il s’agit de faire en sorte que des organismes tels que la DEA (l’agence anti-drogue américaine), l’Union Européenne, l’UNODC, Interpol et la Commission de l’Afrique de l’Ouest sur les drogues, il faudrait que chacune de ces agences ait des bureaux de liaison à Conakry. L’objectif étant, non seulement de garantir la formation et l’équipement des agents anti-drogue guinéens, mais aussi, de favoriser un partage et une mutualisation des informations.  La Guinée deviendra ainsi la base arrière de la lutte contre le narco-trafique à partir de laquelle des opérations seront lancées pour démanteler des réseaux partout en Afrique de l’Ouest.

 

IV-CONCLUSION

 

Tout au long de ce papier, non seulement nous avons pu comprendre les différents cycles du narco-trafique et su situer la Guinée dans la chaîne, mais de plus, nous pu évaluer l’ampleur que ce trafique à pris ainsi les conséquences sociales et économiques qu’il représente pour la Guinée. Les conséquences sont des plus en plus lourdes. D’année en année les institutions s’affaiblissent et les narcotrafiquants prennent le contrôle. Nous en sommes même arrivés à la conclusion selon laquelle il existe désormais un État parallèle en Guinée qui tend à se substituer aux institutions républicaines. Si rien n’est fait, la Guinée deviendra définitivement un narco-État. Cela suscite une grande urgence à agir. Agir pour protéger nos institutions et nos familles. Agir pour briser le momentum des narco-trafiquants. Agir pour renforcer les pouvoirs et l’intégrité de l’agence anti-drogue. Et enfin, agir pour faire de Conakry le quartier général de la lutte contre le narco-trafique en Afrique de l’Ouest.  C’est maintenant ou jamais.

 

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Références :

 

       1-Economic and social consequences of drug abuse and illicit trafficking, United Nations International Drug Control Program, January 1998

        2-International narcotics control strategy report, Bureau for International Narcotics and Law Enforcement Affairs,  March 2013

        3-Cocaine and Instability in Africa: Lessons from Latin America and the Caribbean, David O’Regan, July 2010

        4-Guinée, le retour des grands empires, Mamadou Oury Diallo, Septembre 2010

        5- S’engager contre la corruption en Guinée, Mamadou Oury Diallo, Septembre 2012